Lise Blanc
Inde - carnet de voyage 4 - Reach North !
Dernière mise à jour : 14 août 2020
25 juillet 2016
Réveil à 4 h du matin. Je fais du stop jusqu'à la station de bus de Leh. Quand j'y arrive, je croise un gars qui s'est fait mordre méchamment par un chien errant. Ces putains de chiens sont partout... Il me demande si j'ai pas un truc à lui donner pour désinfecter et recouvrir la plaie. Je lui dis : " Là, faut surtout que tu ailles chez le toubib... " Je l'ai recroisé quelques semaines plus tard et il m'avait confié qu'il était finalement resté à Leh afin de se faire vacciner contre toutes les merdes possibles et imaginables.
Je m'endors dans le bus et me réveille en sursaut. J'ai fait un cauchemar... Au moment où j'ouvre les yeux j'entends "Hi Lise !"
C'est un des gars qui m'avait prise une fois en stop et avec qui j'avais bien sympathisé. Il part voir sa famille quelques jours.
Le bus s'arrête, mon pote me paie à manger. Adorable.
45 minutes après, me voici à Lamayuru.
Je trouve un endroit où passer la nuit, pose mon sac à dos et m'en vais découvrir le bled. Je reste ébahie devant le monastère qui surplombe ce petit village et devant la beauté qui m'entoure. Les montagnes sont majestueuses.
Les chants des moines retentissent à l'entrée du Gompa. L'un d'eux m'invite à m'asseoir à ses côtés. Je m'installe en position du lotus.
Ils sont en pleine Puja. Ils ont fini de créer un mandala de sable, et le détruiront durant la semaine. Les mandalas sont de véritables leçons d'impermanence.
Il m'explique qu'ils commencent leurs journées à 3h du matin. Ils prient, chantent, méditent. Ils récitent les textes sacrés qui sont inscrits sur de vieux rouleaux à prières. Je me sens tellement bien ici !
Je lui demande si je peux voir le mandala. Il m'accompagne et me le montre. Je m'émerveille devant cette oeuvre d'art. ll est magnifique. Je n'ai jamais vu pareille beauté.
Je pourrais rester là pendant des jours. Quand les chants et les percussions retentissent à mes oreilles, je suis envahie par une profonde douceur. Je suis en paix. Je suis en train de vivre quelque chose d'unique, de mythique et de mystique à la fois. Ce lieu est magique.
En fin de journée, je quitte mes amis moines et descends au village. Des enfants jouent avec des morceaux de cartons et des cailloux. Ils me demandent si je veux bien jouer avec eux. Bien sûr que je veux ! On passe un superbe moment ensemble.

Puis, je m'en vais dans ma petite guesthouse. La bonne femme veut me louer une chambre, hors de prix à mes yeux. Je négocie. " Écoute, je te donne ça, et je dors ici, dans le salon. Je reste quelques jours, c'est un bon deal."
Elle me sourit et me dit que ça lui convient. Parfait.
Avec Mireille, une Hollandaise qui dort aussi là, on va manger dans un petit buibui. Au retour, il y a des gars qui jouent aux cartes dans le salon. J'entame la conversation. Ils viennent du Cachemire et fuient les tensions de la région. Je ne leur en demande pas plus. Je sais qu'il y a des tensions à la frontière Pakistanaise. Je suis au courant de la fragilité de certaines zones. Et parfois, ça pète, littéralement. Alors je peux comprendre leur envie de se tirer de là.
Un des gars me dit : "moi j'ai pas de thune, je dors dehors". Je lui réponds que pour 100rs, (1.30CHF) il peut faire comme moi et dormir dans le salon, s'il négocie avec la bonne femme. Il n'y a aucune ambiguïté avec ce gars. J'ai toujours dormi avec des gens, que ce soit des hommes ou des femmes, pour dépenser le moins d'argent possible. J'ai maintenant l'impression de connaître cette partie du pays, de "sentir" les gens. J'ai confiance, je me sens "chez moi." En plus, je sais que je suis guidée par une bonne étoile.
Tout le monde disparaît de la pièce, c'est l'heure de dormir. Je sors mon sac à couchage et le pose au sol. Le type fait de même. Le salon est plutôt grand. Lui, s'installe plutôt proche de moi.
Et là, il commence à me dire des mots doux en se rapprochant un peu plus. Je lui dis que je me sens mal à l'aise et lui demande gentiment d'arrêter.
Mais il continue et me propose, le coeur plein d'espoir, de voyager avec lui. Il me dit que l'on pourrait créer une vraie relation et parcourir les routes du monde main dans la main... Il n'est pas agressif, au contraire. Il me parle calmement, poliment.
Mais je sens qu'il commence à stresser, ses mains tremblent. Je me dis que j'ai peut-être affaire à un putain de psychopathe. Au moment où cette pensée me traverse l'esprit, mon plexus solaire se serre, mon rythme cardiaque s'accélère. Si j'écoutais mon corps, je partirai en courant. Mais je me résonne car je sais que si je crie, toute la maison va se réveiller. Je ne suis donc pas en totale insécurité. Tout à coup, le gars commence à me caresser les cheveux. Alors là, je me lève d'un bond et lui crie un mémorable "Get the fuck out of here motherfucker or I'll fucking kill you !" Mon corps tremble mais ma voix reste claire. S'il ne dégage pas dans la seconde je vais chercher un couteau et je le plante. Je sens la haine monter en moi. Les mots sont une chose. Me toucher en est une autre.
Il a plus peur que moi. Se confond en excuse et se casse. Je ferme la porte a double tour.
Je ne ferme pas l'oeil de la nuit. Ce petit épisode m'aura au moins fait redescendre sur Terre. Rester vigilante et attentive. Rester méfiante et surtout, ne pas tomber dans la naïveté. Sur ce coup-là, j'étais naïve. Conne même. Je m'en veux. Je reprends conscience que je suis seule, dans un pays dont je ne connais rien et que j'ai le devoir de prendre soin de moi comme il se doit.
26 juillet 2016
7 h du matin. Je prépare mon sac à dos et regarde par la fenêtre. Ma pote Hollandaise de la veille me salue, me demande comment ça va. Je lui explique en gros ce qui c'est passé. Elle me dit que les gars sont partis pendant la nuit. Tant mieux.
Je sais qu'il a eu plus peur que moi. Il ne m'aurait pas fait de mal. C'était un jeune de 23 ou 24 ans, peut-être même de 25 ans, qui était à coup sûr encore puceau. Elle est là, toute cette différence culturelle. La religion interdit tout acte sexuel avant le mariage. Bien. Et alors, qu'est-ce que ça crée? Des jeunes hommes frustrés et en manque. Lui, il n'était pas encore marié. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir essayé de me serrer.
Sur ce, encore un peu abrutie, je monte dans un bus. J'ai décidé de partir à la découverte du Zanskar. Il me tarde de me perdre dans ces vallées et de m'aventurer au coeur de ce no man's land mystique. Je rêve de me retrouver seule et de marcher pendant des heures. Je rêve de dormir à la belle étoile et d'être coupée du monde. Je rêve ...
Première escale avant la pépite Zanskarienne : La ville de Kargil.
Kargil = Grosse merde. Voilà ce que j'avais écrit dans mon carnet de route ce jour-là.
C'était la première fois que je me sentais en insécurité dans un endroit. À peine sortie du bus, tous les regards se tournaient vers moi. Les rares femmes présentes dans cette ville étaient voilées de la tête aux pieds. Je ne me baladais pourtant de loin pas à poil et je portais même un pseudo voile sur la tête, mais mes jolis yeux gris-bleu-verts les rendaient fous. J'ai donc fait comme j'avais toujours fait depuis mon arrivée dans ce pays, j'ai baissé les yeux et ne me suis pas attardée dans les rues.
Croiser le regard d'un homme dans ce Temple du monde est complètement inapproprié. C'est un appel au viol. Ici les femmes, aussi fortes et solides soient-elles, n'ont pas
grand-chose à dire. Elles sont en majorité soumises et résignées. Je m'acclimate rapidement à l'environnement qui m'entoure et aux coutumes locales. C'est donc naturellement que je les imite : Je regarde mes pompes et me fais encore plus petite que mes 1.53 m. de haut !
Heureusement, j'étais entourée de Sean et de Jeremy, respectivement slovaque et néo-zélandais. On avait fait connaissance dans le bus. Ils gardaient un oeil sur moi. Thank's guys !
Différentes raisons les avaient emmenés ici. Pour Jeremy, c'était sa passion des montagnes. Aller là-haut, tout en haut, au plus près des étoiles. Il me parlait de base jump et de snowboard, de méditation et de lagons, d'apnée et de plongées dans le grand bleu. Il me demandait si j'étais déjà allée à Lauterbrunnen, paradis Suisse pour les débutants base jumpers. Il me montrait des photos du ciel étoilé qu'il avait prises récemment lors d'une expé en solo à 6'000 mètres d'altitude, quelque part au nord de l'Inde.
"Regarde comme elles sont belles, vues de là-haut. Après l'Inde, je vais au Népal. C'est mon rêve de gosse de pouvoir toucher du regard les plus hauts sommets du monde. Un jour, je les grimperai ! "
Je te le souhaite, Jeremy !
Moi je lui dis que je rêve de parcourir le nord du Pakistan. Que le K2 doit être encore plus majestueux que l'Everest.
Je lui confie que l'idée de traverser la frontière Pakistanaise, dont nous sommes désormais tout proches, m'obsède de plus en plus. Il me pousse à aller là où mon coeur me mène, mais m'avoue que j'aurais meilleur temps de prendre un avion depuis Delhi plutôt que d'y risquer ma peau à y aller à pied.
Garder en tête que certains passages sur Terre ne sont pas des terrains de jeux.
Garder les pieds sur terre et ne pas se perdre. Ne pas jouer les héros.
J'ai soif d'aventure, faim de liberté, mais ne suis pas suicidaire.
Sean lui, était là pour se rendre utile. Il allait passer plusieurs semaines dans un village perdu au milieu de la caillasse pour participer à la construction d'une école.
Et moi j'étais là parce que c'était là que je devais être.

Nous passons l'après-midi à trouver une personne qui veuille bien nous emmener dans le village de Padum situé à environ 14 h de route d'ici. Padum sera pour nous trois un point de chute avant d'entamer trekkings (pour Jeremy et moi) et aide humanitaire (pour Sean).
On a de la chance, on trouve deux autres jeunes hommes qui sont bien motivés à aller visiter ce village paumé au milieu de rien. On négocie un bon prix avec un chauffeur qui nous y emmènera le lendemain matin.
Nous dormons tous les trois dans une grande pièce qui contient 4 lits, dans une sorte d'hôtel. Comme d'hab, le loyer nocturne est de plus ou moins 200 roupies soit environ 2,70 CHF par personne. A ce prix là, je pourrais prolonger mon séjour de quelques mois !
27 juillet 2016
Le réveil sonne à 5 h du matin. Nous nous dirigeons vers notre taxi et partons. Nous traversons des paysages incroyables. Je n'en finis pas de m'extasier devant ces espaces qui s'ouvrent à nous. Infinité des glaciers, somptuosité des sommets enneigés. Ces paysages me transportent. Ils imposent le respect. On s'arrête parfois pour admirer la beauté qui nous entoure. Je prends le temps de l'imprimer dans chacune de mes cellules, et de le photographier. Je veux m'assurer de l'immortaliser, au cas où, au fur et à mesure du temps, les images gravées dans mon coeur s'estomperaient.
Nous arrivons à Padum en fin de journée. Jeremy va planter sa toile de tente quelque part. Avec Sean, on décide de partager une chambre à deux.
Je vomis un coup. La route était longue, caillouteuse et sinueuse. Et j'ai dû manger un truc qui n'a pas passé.
28 juillet 2016
Avec Jeremy on se retrouve dans un pseudo-café. Lui a une idée fixe en tête : Rallier Padum à Lamayuru à pied, en moins de temps possible. Normalement il faudrait en tout cas 7 jours de marche, lui veut le faire en trois ou quatre jours max.
Moi je ne sais pas où je veux aller. Le suivre ? Non. Je suis là pour avancer seule, à mon rythme. Je veux que cette excursion soit bercée par les propres battements de mon coeur, par la seule symphonie de ma respiration et de mon souffle. Je pars dans l'idée de me connecter à moi-même et à la nature. Le moins d'humains je croiserai, le mieux ce sera.
Ce dont je ne me rends pas compte à ce moment-là, c'est que les gens vont être la base de ma survie pendant 10 jours. J'aurai finalement besoin d'eux.
Je passe du temps à me renseigner auprès des guides du coin sur les différents itinéraires possibles en partance d'ici, et vise finalement Darcha comme ligne d'arrivée. Darcha est une mini ville située à plus ou moins une semaine de marche et à environ 7 heures de route de Manali.
En attendant les préparatifs de nos excursions respectives, on prend le temps d'explorer les alentours de Padum avec nos deux autres compagnons route.