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  • Photo du rédacteurLise Blanc

Histoire de punk à chien

Dernière mise à jour : 4 oct. 2020

Escale de 48h à San Francisco. J’ai passé la première nuit à l’aéroport, car même les hostels des bas quartiers sont hors de prix. Je réserve quand même la deuxième nuit dans un hostel au centre-ville, 60$ la nuit, ça fait mal ! J’y vais tôt le matin et y dépose mes affaires. J’entends ensuite parler du « quartier hippie ». C’est là que je vais passer ma matinée.

En arrivant à Haight Ashbury, je me rends compte que ce quartier appartient plus aux punk-à-chiens toxicomanes qu’à des hippies fumant de la weed légalisée.

En me baladant dans la rue principale, je croise le regard de K. Quelque chose en lui m’attire. Ne vous-ais-je pas encore dit que j’ai un punk-à-chien caché dans un coin de mon âme ? Enfin, pas si caché que ça, pour ceux qui me connaissent un peu...

La rue, la débauche, la misère, les drogués, les marginaux, les vagabonds, les bas fond de la société, tout cela m’a toujours attirée comme un aimant.

Je continue ma route et reviens quelques minutes plus tard sur mes pas.

K. est encore là. Je m’arrête, le fixe dans les yeux. Une connexion se passe. Je lui demande si je peux prendre une photo de lui. Il me répond par: « Yeah, I don’t give a fuck you know ». Je prends cela pour un oui et l’immortalise au travers de mon objectif.

Il me dit que j’ai les plus beaux yeux qu’il n’est jamais vu. Je rigole et lui dit que c’est parce qu’il est pété et qu’il ne voit pas bien clair. Il sourit et me dit que non, qu’il n’est pas si pété que ça. Il me demande si j’ai le temps de passer un moment avec lui. Je lui propose d’aller boire une bière. Il me dit « Cool », et on part dans un shop en chercher. Enfin, lui, moi je prends une canette de coca.

On se balade, il me tend sa main, je la serre fort dans la mienne. On va se poser un peu plus loin, dans un parc. On s’assied, sans parler. Il n’y a rien à dire, juste à apprécier. Son énergie me pose, elle me fait du bien.

Il me prend dans ses bras, je l’enlace. Il m’embrasse, je lui rends son baiser. Nous passons de longues minutes coller l’un à l’autre, à écouter nos battements de cœurs respectifs.

Lorsque l’étreinte se termine, les bouts de mes manches blanches sont tachées par la crasse de son pull sale. Je m’en fou, je pourrais laver mon chemisier un de ces quatre, et j’espère que lui aussi, pourra bientôt laver ses fringues dégueulasses et son corps fragilisé.

Il sent le punk-à-chien. Plus le punk, que le chien, en fait. Car lui n’a pas de chien, il a une super peluche renarde qui s’appelle je ne sais plus comment. Elle a une laisse à son cou, il la trimballe sur son épaule quand il est en mouvement, et la pose à terre, quand il fait la manche. Il dit alors aux gens : « Hi, do you have 50 cents so my fox can have dinner tonight ?” Moi ça me fait rire fort, quand il dit ça. Ce n’est pas le fait de le voir à l’action qui provoque ce gloussement, c’est le regard des gens. Ils ne savent pas quoi faire, que dire, ou se mettre. Moi je lui taperai dans la main en lui disant : « Tiens 2$ mec, ta renarde est trop cool !! »

Mais les gens ont peur, ils le méprisent, le fuie et s’enfuient.

Vous vous demandez comment ça sent, le punk ?

C’est une odeur d’un homme qui n’a pas pu se laver depuis trop longtemps. Ses fringues sont imprégnées par l’abîme, la rue, le sali, l’errance, le terni. Le terni par le goudron de la ville, la survie, la déprave. Cette odeur de vécu ne me dégoute en rien, au contraire, elle me réconforte. Ce vécu qui laisse des traces, des marques, comme sur ces avants bras scarifiés, sacrifiés. Malgré la noirceur de son choix de vie, j’aperçois une lueur briller dans les profondeurs de son cœur. Peut-être suis-je la seule à voir juste ?

Happy birthday to you....Il me parle de son sevrage à l’héroïne. Me partage son rêve d’être mathématicien. Me décrit chacun de ses tatouages. Je les adore tous, spécialement le 666 et le oi ! oi ! oi ! gravé sur ses avants bras. Moi aussi, j’ai un tatouage du genre. Trace indélébile de la punk révoltée qui sommeille en moi : J’ai inscrit le mot FUCK dans ma lèvre inférieure, cadeau offert à moi-même pour mes 16 ans.

Je ne le lui montre pourtant pas, ne lui en parle pas. Je suis à son écoute, présente, ouverte. Son regard est lointain. Il n’y a plus d’héro dans ses veines, je le vois à ses pupilles, mais il y a tout le reste : les pilules de sevrage, l’alcool, les reste de coke trouvé au fond d’un pochon, dans le coin d’une ruelle sombre ou dans des chiottes pourries.

Dans son regard il y a aussi les longues journées d’errance, le froid des nuits blanches, le non-sens, le dégoût du système, de la société. Il me dit qu’il ne comprend pas comment les êtres humains peuvent aller travailler pour quelqu’un d’autre, alores que cet autre s’en met plein les poches par-dessus leurs dos.

Il me dit être perdu dans le monde, vagabondant du nord au sud et du sud au nord, à la recherche de la chaleur du soleil, à défaut de pouvoir ressentir la chaleur d’une douche chaude ou d’un duvet épais dans lequel s’en aller au pays des rêves et des merveilles, quand s’imprégner des merveilles du monde n’est plus possible.

Pire encore, quand toute trace de chaleur humaine à disparue, envolée, évaporée.

K. me touche profondément. Je me revois quand j’avais 16 ans. Avec mon crâne à moitié rasé, avec mes Docs Martens que je ne quittais jamais, avec mes yeux trop maquillés, avec mes bas résilles et toute la révolte intérieure. Si j’avais atterri dans une ville comme celle-ci étant plus jeune, j’aurais fini comme lui, voir pire, il n’y a aucun doute là-dessus. L’obscurité ma toujours plus attirée que la lumière. Les pages de mes cahiers d’ados en sont remplies : propos haineux, anarchiste et complètement antisystème, antiflic, anticapitaliste, antitout... J’ai toujours eu un penchant pour les dépravés de la société, j’adore la marginalité, j’admire les originaux. C’est mon côté punk à chien révolté, qui bouillonne à l’intérieur de mes entrailles et qui pointe parfois le bout de son nez.

C’est pour équilibrer avec l’autre partie de moi ; la hippie, qui prône la conscience et l’amour universel... Méditation, yoga, bien-être, massages, être à l’écoute de mon cœur, de mon corps, prendre soin de ma personne.

Mais les hippies et les punks à chien ne sont que les revers d’une même médaille. Si on y regarde d’un peu plus près, c’est du pareil au même ; il y a une envie de se différencier de la norme, de n’appartenir à aucun groupe, de vivre en marge, de vivre à poil si l’on en a envie, de voyager, de rêver, de boycotter le système, d’être libre, putain. LIBRE !

Ma liberté je l’ai trouvée à travers le voyage, pas le vagabondage, j’insiste là-dessus. J’ai trop la tête sur les épaules pour me perdre. Je suis trop terre à terre pour cela. J’en ai déjà rencontré, qui avait fini par se perdre délibérément en cours de route. Ils s'étaient trompés de chemin à un moment donné.

Dormir dehors, faire du stop assise au bord d’une route, trainer sur les quais navals pendant des heures, en attente de trouver un bateau cargo ou un privé qui veuille bien m’emmener d’île en île, planter le hamac entre deux cocotiers, marcher dans des vallées reculées, boire l’eau des rivières, me laver le cul sous des cascades, cueillir des noix de coco comme je peux pour manger.. Tout cela fait partie de la vie que j’ai choisi de mener. Malgré tout, il n’y a aucune trace de vagabondage sous quelque forme qu’elle soit. C’est l’esprit du voyage, de la découverte, c’est ma soif d’apprendre, de m’extasier devant la nature et toute la beauté de ce monde qui m’appelle à chaque fois. Je commence à être douée là-dedans. Parfois je me dis que je suis totalement faite pour cela. Certains ont une morphologie de coureur ou de grimpeur. Moi j’ai une anatomie de voyageur : je suis petite; je dors bien partout : dans les avions, les bus, les trains, les voitures... je suis discrète, j’ai une facilité en langues, une capacité d’adaptation incroyable. Mettez-moi entourée de punk à chiens, dans une tribu Malgache, ou dans un Ashram en Inde, je m’accoutumerai en un rien de temps ! Je ne tombe jamais malade à l’étranger. Je peux passer des heures et des heures à négocier les prix, à marchander, à faire du stop, à attendre les bus/trains/bateau, j’adore ça !

Ce que j’appelle ma liberté n’a pas de prix.

Mais la liberté de K. elle, à un prix à payer : celle de l’errance, de la perdition, de l’auto destruction. Je ne suis pas là pour le sauver, personne ne peut sauver quiconque de ses propres démons intérieurs. Je suis simplement là pour partager, pour que l’on se fasse du bien mutuellement, au moins pendant un instant.

Je lui dis que je veux voir le Golden Bridge. Il m’emmène au centre-ville. On se pavane sur les quais, on observe les phoques, on se rigole en se disant qu’ils font vraiment des bruits d’animaux en rut. J’adore son attitude, chacune de ses phrases est ponctionnées par un « fuck yeah ».

Il pointe la prison d’Alcatraz du doigt, en m’expliquant que « The jail is situated on this fucking island over here ». Je me marre vraiment, il me regarde bizarrement. Je le rassure en lui disant que c’est sa manière de placer des « fuck » à tout bout de champ, qui me fait pouffer de rire. Il sourit à son tour.

Puis il observe l’océan, instant méditatif important. Il m’avoue qu’il ne vient jamais dans cette partie de la ville.

Au bout d’un moment, un truc se passe dans son cerveau, un déclic. Il me dit qu’il faut qu’il y aille. Il me prend une dernière fois dans ses bras, me remercie pour cette journée, me remercie d’être revenue sur mes pas pour lui parler. Je ne dis rien, je suis juste bien, enveloppée dans la chaleur de ses bras fins. L’étreinte ne dure pas. Il tourne les talons. Je l’observe s’éloigner.

Mon cœur lui souhaite bonne chance. Puisse-t-il trouver une peu de paix dans ce monde torturé.

À mon tour je m’en vais, en direction du pont. Et à mon tour, je plane, sur un fond de pink floyd, en marchant contre le vent. Les années passent, les fringues diffèrent, mais la musique et mon âme délabrée restent.


Adieu, K.


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