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  • Photo du rédacteurLise Blanc

Journal de bord - De Tahiti en Nouvelle-Zélande en bateau stop

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023



Mi-août 2019, Rangiroa (Archipel des Tuamotu, Polynésie Française) Aujourd’hui plongée bouteille avec Alice et Paul. De retour au centre, on fait brièvement la connaissance de Pierre, qui fait le tour du monde sur son magnifique catamaran. On échange nos coordonnées. Je lui écris et lui dis que je cherche bateau pour aller jusqu’en Nouvelle-Zélande. Quelques jours plus tard Pierre me dit qu’il peut volontiers m’avancer jusqu’aux îles Tonga ou Fidji. Je saute de joie ! Il me dit : « Départ le 31 août ». Génial, car Paul et Alice me quittent le 29. Perfect timing ! Papeete, Tahiti - Vendredi 30 août 2019 Je m’installe à bord du Mariposa dans l’après-midi. Mon amie Danièle m’emmène à la marina. Je lui dis au revoir avec le pincement au cœur, comme toujours... Sur Mariposa, je fais la connaissance d’Anne-Sophie et de Daniel, qui ont fait la traversée avec Pierre depuis la France. Ils sont absolument adorables. Le bateau est splendide. C’est un outremer de 51 pieds. Je n’en reviens pas ! À moi la mer, l’horizon, les coucher et lever de soleil sur le bleu de l’océan. L’occasion de me laisser bercer par le bruit des vagues et de parcourir des îles reculées de tout. Et entre deux vomissements (car j’ai le mal de mer, bien entendu) apprendre un peu la voile. Papeete, Tahiti - Samedi 31 août 2019 Nous accueillons Éric à bord, tôt le matin. Il vient de débarquer en avion de la Métropole et c’est un très bon ami de Pierre, d’Anne-So et de Daniel. Il fera la traversée avec Pierre jusqu’à Phuket. Lui aussi, à l’air super cool. D’autres amis de Pierre vont nous rejoindre sur le bateau et tout le monde partira plonger à la vallée blanche, le spot par excellence pour plonger avec les gros requins-citrons et certains requins-tigres. Je décide de rester sur le bateau avec Daniel afin de repêcher toute l’équipe à la sortie. Pierre a tout le matériel de plongée à bord : compresseurs, blocs, combinaisons de plongée, stabs etc... Une fois remonté à bord, apéro sur le bateau. On avait prévu de partir aujourd’hui sur Raiatea, mais l’apéro dure un peu et les discussions s’enchaînent et quand les copains nous quittent il est déjà tard dans l’après-midi. On décide finalement de rester encore une nuit ici. Nous partirons sur Raiatea demain matin. Moorea / Raiatea - Dimanche 1er septembre On largue les amarres et partons au moteur sur Moorea. On s’y arrête pour y faire le plein d’essence (pour Mariposa) et de glaces (pour l’équipage). Nous filons ensuite sur Raiatea, toujours au moteur. Pas de baleines en vue pour l’instant. Seuls quelques dauphins nous ont fait grâce de leurs adieux ce matin lorsque nous quittâmes Tahiti. La nuit tombe à 18 heures et je sens déjà le mal de mer m’envahir. Je vais me coucher dans ma cabine. J’allume mon ventilo et attends que le sommeil me gagne. Mais les bruits du bateau m’impressionnent ; le moteur vrombit trop fort, certaines vagues se cassent sur mon hublot tandis que d’autres se fracassent entre les coques du navire dans un tambourinement plutôt effrayant. La mer est d’un noir d’encre et la lune se fait discrète ce soir. Je ne suis pas sereine et ne trouve pas le sommeil. Arrivée à Raiatea de nuit. Raiatea - Lundi 2 septembre On loue une bagnole. Au programme : dernières courses, paperasse à la gendarmerie et lessives. On s’organise pour la traversée... Rhum et jeux de cartes à la tombée de la nuit. Raiatea – Mardi 3 septembre Je convaincs Pierre que le stop, c’est mieux que la location de voiture... Départ en stop, donc, à la gendarmerie. Les flics nous tamponnent les passeports, on peut quitter le territoire le lendemain. Petite bouffe au resto le soir et nuit sous les étoiles. Raiatea – Mercredi 4 septembre Départ pour Niue ! Mal de mer déjà au bout de 2 heures de navigation. Je m’allonge et observe les nuages dans le ciel. « Attendre que « ça passe. » Paraît-il... Dans l’attente, j’ingurgite deux « mer calme ». Ces putains de médocs m’assomment. Je passe la nuit dans la cabine bâbord arrière, ça tabasse bien moins qu’à l’avant. Merci capitaine ! En Mer – Jeudi 5 septembre Je suis toujours malade mais je ne vomis pas. Serait-ce moins pire de vomir ? Pas sûre, mais peut-être... J’ai faim, je mange un peu. Je suis claquée et dors beaucoup. Par chance, je peux lire un peu en étant allongée. « Ça va passer, Lise. Deux ou trois jours d’amarinage c’est normal. Ça va passer. » Me rassurent-ils. Mariposa avance à fière allure, environ 10 nœuds de moyenne. Houle : creux de deux à trois mètres. Tu m’étonnes que j’aie la gerbe ! L’équipage est adorable avec moi. Je me sens inutile et nulle d’être là et de ne même pas pouvoir les aider à faire à manger ni même faire la vaisselle... État de faiblesse non optionnel. Vivement que ça passe... Je m’endors dans le carré avec deux "mer calme" dans le ventre. À part me mettre en état léthargique, on dirait que ces saletés de médicaments ne servent à rien... En Mer – Vendredi 6 septembre La houle se fait plus calme aujourd’hui. Il fait beau, je me sens mieux. Pierre m’apprend quelques manœuvres. Je dévore un bouquin dans l’après-midi. Mariposa avance toujours très vite. J’écoute de la musique assise à la barre. Pas de baleines en vue. Bizarre... Les ondes Pink Floydiennes les effraient-t-elles ? Un léger décalage horaire se pointe à l’horizon : C’est le soleil qui se couche un peu plus tardivement. Je m’endors sous la lune et les étoiles.


En Mer – Samedi 7 septembre Grosse houle et pas mal de grain aujourd’hui. Je suis encore et toujours malade. Je passe la journée alitée. Va chier ! Les "mer calme" me narguent. Je les emmerde. Je ne veux plus être pétée. Aujourd’hui le fil de pêche a cassé sous le poids d’un énorme poisson. Dommage. Les cétacés quant à eux, continuent de nous narguer. Toujours pas de vents, de queue ou de jump à l’horizon... Mariposa avance encore et toujours aux alentours de 10 nœuds. En clair, on file ! Les paris sont lancés : Quand arrivera-t-on ? Mes amis se concertent. J’entends dire : « Demain ! » Oui, mais plus précisément ? Certains penchent pour la fin de matinée – début d’après-midi. Pierre opte pour la fin de journée. Moi ? Je n’en sais rien, je suis comme hors du temps. Encore une nuit à coucher dehors. Une de plus qui ne me donnera plus trop envie de dormir dedans. C’est trop bon, de sentir l’air marin remplir mes poumons et de compter les étoiles avant de m’envoler aux pays des rêves... Merci, merci la vie.

En Mer – Dimanche 8 septembre Le vent n’en a que faire de nos suppositions horaires. Nous arriverons lundi matin tôt. Dernier jour de navigation, donc. Je crois que ça va. Journée lecture et méditation. Une autre nuit dehors.

Niue - lundi 9 septembre Je me réveille avec un magnifique lever de soleil sur l’île de Niue. L’île se présente plutôt grande, et verte. On scrute les baleines à l’horizon. Mais où sont-elles, bon sang ? Il fait beau, il fait chaud. Mariposa avance à 1 nœud et en attendant que les autorités nous donnent leur ok, moi, je me jette à l’eau. J’ai 1’000 m. de vide bleu entre les jambes. Superbe ! Le bleu est beau, il est aussi immense qu'intense. L’eau est bonne. La visibilité doit être d’au moins 30 mètres. L’océan se fait sublime. Je demande à Pierre de me rejoindre parce que ça me rassure toujours d’avoir quelqu’un avec moi dans l’eau. Lui, il n’en a pas peur, de l’eau... Il fait quelques apnées. Je le regarde, hésitante. Je nage, je l’observe. Je stresse puis je déstresse... Ça me fait toujours bizarre, toute cette vastitude... Puis je finis par le suivre. Mon canard est nul, mais je descends un peu, puis un peu plus. Ça fait tellement longtemps que j’ai pas retenu ma respiration dans l’océan. Au moins 8 mois. Et tout à coup, le grandiose se produit... Je lève la tête, et je regarde à la surface. C’est tellement beau ! Putain j’avais oublié à quel point c’est merveilleux, là-dessous... Le fond m’attire. Merde, j’ai plus envie de remonter. Cette tranquillité, cette paix, ce calme... Et à nouveau cette question qui n’avait alors pas franchi la barrière de mon conscient depuis des mois me traverse soudainement en un éclair :" Suis-je vraiment obligée de remonter là-haut ?"  "La vie est faite de choix", dit toujours mon père. Ce choix-là ne tient-il qu’à moi ? Intérieurement, je soupire. Ce n’est pas le moment de penser à quoi que ce soit. D’ailleurs, je ne pense à rien. Je suis juste là, posée en apesanteur au milieu de l’océan, émerveillée par les rayons de soleils qui le transpercent. Mon trop-plein de CO2 dans le sang me rappellent pourtant qu’il faudra que je respire à nouveau rapidement. Et me voilà à m’observer en train de palmer en direction du monde des humains... Tant pis, et tant mieux, aussi. En remontant sur le bateau, je fais un petit bilan hygiénique : J’ai pris qu’une douche en six jours et ça doit faire 48 heures que je ne me suis pas brossée les dents. Le mal de mer m’a tuée. Je file me brosser les dents. La douche ? Je dis à Pierre : "Le plouf dans l’océan, c’était ma baignade du mois !" Il me regarde, les deux mains posées sur les hanches, un sourcil haussé et secoue la tête en me répondant : "J’y crois pas, t’es encore pire que moi... !" Je ris. Je suis trop heureuse d’être là. Nous mettons le bateau au corps mort puis allons à terre avec nos papiers. Le mal de terre ne se fait pas trop sentir et je suis super heureuse de mettre mes pieds nus dans l’herbe. On mange, on choppe internet, on trouve une bagnole à louer pour le lendemain. Le soir, je décide de dormir dehors, sur le trampoline. La lune se fait belle et est presque pleine. La vie est belle. Niue - mardi 10 septembre Un peu de tourisme autour de l’île en voiture. C’est beau, beau et beau ! Il y a plein de grottes partout et la clarté de l’eau est "à se taper le cul par terre". Une baleine nous a dit bonjour en fin de journée et nous avons eu droit à un magnifique coucher de soleil depuis le bar d’un hôtel, autour d’un cocktail. (quelle rime !) Journée parfaite. Quelle mouche me pique ? J’en sais rien, mais m’endors paisiblement dans ma cabine ce soir.


Niue - mercredi 11 septembre J’ai écrit pendant 3 heures ce matin. J’en avais besoin. Après-midi d’apnée à éviter les serpents de mer. Un requin pointe blanche me glisse entre les jambes. Arrrrrg ! Je ris nerveusement. Les pointes blanches sont pourtant mes requins préférés... Il faut vraiment que je travaille ma technique d’égalisation. En début de soirée, les copains boivent l’apéro, dansent et chantent. Toujours une superbe ambiance sur le bateau. Je suis vraiment trop heureuse d’être là. Deuxième nuit dans ma cabine. Et j’y dors bien.

Niue / en mer - jeudi 12 septembre Nous partons en ville, faire tamponner nos passeports et faire quelques courses. Une dizaine de dauphins tournent autour du dinghy sur notre trajet aller. Nous disent-ils au revoir ? Nous faisons un ou deux ploufs dans l’eau avant de partir. On largue les amarres vers midi et mettons le cap sur les îles Tonga. Le vent est calme et la mer aussi. Superbe coucher de soleil sur l’horizon en fin de journée. Est-ce la beauté des couleurs qui me rendent nostalgique ? J’en sais rien, mais ce soir, j’ai le mal de mère. Elle occupe mes pensées. Quart de nuit au calme avec Pierre. Il fait froid et je finis par m’endormir sous un ciel peu étoilé, mais bien dégagé. La lune se fait presque pleine. 

En mer - vendredi 13 septembre Aujourd’hui, Mariposa avance aux alentours de 5 – 6 nœuds. Vent faible. Le code D s’est déchiré en début d’après-midi. Rien de grave, on le fera re-recoudre une fois arrivés aux Tonga. Vers 15h00, j’étais en train de lire quand j’entendis un souffle. Je levai les yeux, et ne vis rien. Et 2 minutes après, le même souffle. Je me lève à nouveau et là, une baleine se présente à une petite quinzaine de mettre à tribord. Superbe ! Vers 16h30, le vent se lève. Mariposa prend de la vitesse. Yes ! Pour éviter un mouillage de nuit sur Vava’u, on décide de rallonger le trajet de 30 miles. Le mal de mer m’a foutu la paix depuis le départ de Niue. Bonne nouvelle. Ce soir, la lune se cache derrière les nuages. Dommage. Je peine à trouver le sommeil, ça tape un peu, là-dehors. Avec Pierre, on passe notre quart sous la lune, le ciel s’est dégagé. Il m’explique comment les nuages se forment, comment le vent se crée. On débat sur le réchauffement climatique et on parle de l’avenir, en savourant le gâteau aux pommes d’Anne-So. Tout est trop bon ! Empannage à 1h du matin et douce nuit de sommeil pour la suite de celle-ci. Archipel de Vava’u, Tonga - dimanche 15 septembre On arrive tôt le matin. Surprise ! C’est dimanche. Apparemment, on a passé une des lignes de changement de dates. Encore une invention humaine à laquelle je ne comprends pas grand chose. On passe vite fait en ville, tout est fermé. On remonte sur Mariposa et partons plus au sud. On passe dans une passe d’une vingtaine de mètres de large : c’est chaud chaud chaud !! Mais une fois passée... Qu’est-ce que c’est beau ! On y a trouvé un coin de paradis pour y passer la fin de journée et la nuit. Au programme de cet après-midi : sieste et snorkeling. Ce soir, nous avons droit à un incroyable lever de pleine lune. (Même deux levers de lune : un dans le ciel et un à bord de Mariposa. (Comprendra qui pourra... Merci Eric ! ). Après quelques rhums (pour les copains) et un coca (pour Lise), bain de minuit et rire à n’en plus finir. Je lis un moment et m’endors sur le trampoline. J’arrête pas de me dire que la vie est trop belle. Merci la vie, merci !  Archipel de Vava’u, Tonga - lundi 16 septembre On repart « en ville » pour s’occuper des lessives, de la nourriture et réparer le code D. Journée Internet, écriture et blog pour moi. Petit tour en kayak le soir. Rien de spécial.

Archipel de Vava’u, Tonga - mardi 17 septembre Jour férié aujourd’hui. Journée Internet et travail sur mon blog. Il fait pas beau, nuit dans ma cabine. Archipel de Vava’u, Tonga - mercredi 18 septembre Cap sur l’île d’Avalau. Plage de sable blanc et après-midi apnée et snorkeling. La routine, quoi !


Archipel de Vava’u, Tonga - jeudi 19 septembre Réveil tard. Matinée rangement et cuisine. On part plus au sud, sur l’île de Taunga. En chemin, les baleines nous ont offert le plus incroyable des spectacles : une maman et son petit ont fait des bonds hors de l’eau pendant une bonne dizaine de minutes. J’avais jamais rien vu d’aussi grandiose. La nature est incroyable... On mouille face à un paysage de carte postale : lagon turquoise et plages de sable blanc. Cerise sur le gâteau : on est seul au monde. La classe ! Un requin et une tortue nous ont souhaité la bienvenue. Après-midi snorkeling et balade sur les plages paradisiaque. C’est si bon, de marcher sur le sable fin... Il fait beau, mais il y a pas mal de vent. Dès que tu sors de l’eau, ça caille. Épisode de Robinson Crusoé ou "l’homme face à la nature." La nature a gagné, on a bien ri. J’hésitais à dormir dehors et finalement, j’ai bien fait de dormir dedans. Il a plu pendant la nuit.

Archipel de Vava’u, Tonga - vendredi 20 septembre Réveil vers 7h30. Petit déjeuner et tour en kayak. Pas de requin ni de tortue à l’horizon. On part en ville récupérer le code D, profiter d’Internet et repas de midi au restau. Vers 16h00, on met le cap sur les Fidji. Nous partons pour 1 jour et demi de nav', si tout va bien. La mer est calme, on avance à 7 nœuds environ. Joli coucher de soleil à l’horizon. On mange et j’hésite à prendre une crème au chocolat en dessert. Je finis par choisir de ne pas en manger. Je descends m’allonger dans ma cabine et 30 minutes plus tard, j’ai la tête dans les chiottes. Je dégueule ma race, allez savoir pourquoi... Finalement, je suis contente de pas avoir mangé ma crème au chocolat; j’en aurais gâché une pour rien. Je prends mon sac à couchage et m’allonge dans le carré extérieur. Je me sens beaucoup mieux et cela répond à ma question existentielle à propos de la régurgitation : c’est clairement moins pire de vomir, on se sent 1'000 fois mieux après. Par contre, on crève à nouveau de faim droit derrière. Tant pis, je passe la nuit à jeun. Je regarde le ciel, il brille de mille feux. Une étoile file. J’ai bien vu sa traînée lumineuse, ça a presque duré quelques secondes. Merveilleux. Ça me rappelle mes nuits polynésiennes. Toutes ces nuits à coucher dehors, entre les Marquises, Huahine, et même sur un catamaran dans le lagon de Tahaa’a avec mes potes Marion et Charlotte, l’année passée. Je n’ai jamais vu de plus beaux cieux que ceux de ma chère et tendre Polynésie Française. Ils grouillent d’étoiles filantes et la voie lactée s’y fait presque toujours clair et resplendissante. Ça me rappelle aussi une nuit que j’avais passée dehors aux environs de 4'000 m. d’altitude dans le nord de l’Inde, il y a trois ans déjà : le ciel était d’une beauté éclatante. J’étais allongée par terre avec mon pote israélien et on refaisait le monde en observant le toit bleuté de la nuit. Agréable souvenance de mes périples. Vous voyez, rien que les cieux font réapparaître dans ma mémoire tous ces doux souvenirs de voyages. Il ne m’en faut pas plus pour tomber dans les bras de Morphée le sourire aux lèvres, emmitouflée dans mon duvet. Ce soir, ça caille. Pierre ne me réveille pas pour le quart de nuit. Le lendemain il me dit : tu dormais trop bien, je voulais vraiment pas te réveiller... En mer - samedi 21 septembre Au réveil, je dis à Pierre que j’ai gerbé la veille. Il se moque de moi et me félicite d'avoir "baptisé le bateau". Je me marre. Journée lecture, musique et conversation avec Pierre. En journée, il fait froid, il pleut et ça remue. Le soir, ça tabasse encore plus. La mer est agitée, on prend des grains et Mariposa surf jusqu’à 19 nœuds. 19 nœuds bordel ! T’imagines ? On fonce ! Je me réveille en sursaut plusieurs fois à cause du bruit assourdissant des vagues qui cognent contre les coques. Je me lève au moins quatre fois d’un bond, en état d’alerte, le cœur palpitant et le bide noué, comme prête au combat. C’est flippant, surtout qu’on n’y voit rien, là-dehors. Le ciel est bouché, noir. Éric fait son quart, je le regarde, les yeux grands comme des billes. Il a l’air zen et serein. Ça m’apaise. Je fais mon quart de nuit avec Pierre. Je lui demande si tout va bien. Il me dit qu’on va peut-être couler. Je le regarde en lui disant que c’est pas drôle... Même si je rigole, dans le fond. Je lui dis toujours : si jamais je meurs, je lègue tout à mon frangin, OK ? Non, mais c’était une blague, Mariposa est génial. J’ai confiance en ce bateau. Il négocie super bien avec tout ça. J’me sens (presque) prête pour le Cap Horn ou le Cap de Bonne-Espérance. En mer - dimanche 22 septembre La nuit n’a été agréable pour personne et j’ai fini par m’endormir dans le carré, dedans. Aujourd’hui, la houle est de 3m. environ et Mariposa continue de faire des surfs à 19 nœuds. J’aime la vitesse, c’est grisant. J’ai le temps de réfléchir aujourd’hui et je me demande si je vais pas continuer à naviguer avec eux jusqu’aux Vanuatu. Déjà parce que je rêve de mettre les pieds sur l’île de Tanna. Et ensuite, parce que depuis Tanna ou Espiritu Santo, je pourrais me rendre en Nouvelle-Calédonie, chez ma pote Charlotte. Et à partir de là, je pourrais trouver un dernier bateau qui m’emmènera en Nouvelle-Zélande. La vérité est que j’ai plus trop envie de débarquer... Je suis trop bien sur Mariposa et je commence à comprendre comment ça fonctionne, un voilier. Maintenant je m’exécute quand Pierre me dit de « choquer l’écoute de génois » ou de « préparer à faire un empannage ». Tout ça commence à rentrer. Et puis, on est une bonne équipe et c’est vrai que c’est génial tout ce que je vis. Disons que c’est confortable. Plus confortable que les 3’000km à pied qui m’attendent, ça, c’est sûr. Mais c’est mon objectif, alors il faut que je garde ce projet en tête et pas que je m’éparpille trop, sinon je vais finir par aller jusqu’à Phuket avec Mariposa. Nous arrivons aux Fidji vers 18h. C’est toujours chouette, de voir la Terre s'approcher. La mer est verte, il fait froid et ça souffle pas mal. On attendra demain pour faire la clearance et descendre du bateau. En attendant, Pierrot fait des crêpes (dommage, pas de Nutella) et je m’endors comme un bébé vers 21h00. Ça fait du bien, de dormir au calme.



Fidji, lundi 23 septembre

Ménage, lessive, clearance. On descend en ville et on achète de quoi avoir Internet à bord. On mange un morceau et on boit un verre. Journée tranquille. J’hésite à plonger avec les requins bouledogues... C’est gros, quand même, un requin bouledogue.

Par contre c’est décidé, je vais jusqu’aux Vanuatu sur Mariposa ! Ensuite j’irai en Nouvelle-Cal profiter des plages de sable blanc et passer du temps avec mon amie Charlotte. J’suis contente d’avoir pris ma décision. Ca me parait-être un bon plan, tout ça.

Fidji, mardi 24 septembre

Anne-So et Dan débarquent ici. On leur dit au-revoir et retournons en ville finir la paperasse de la clearance. Ça prend du temps, et on paie une amende parce qu’on s’est pas annoncé avant de venir. Voilà ce qui arrive, à force de crier « fuck les procédures » ! Pour finir, ça nous a pris quand même toute la matinée, ces histoires de papiers... Après-midi courses et un peu de shopping. On a booké la plongée avec les requins à 08h45 demain matin. Mélange d’excitation et d’appréhension pour moi. Les deux autres, ils rigolent. Eric me dit : « que je prenne le métro ou que je plonge avec des requins, pour moi c’est pareil. » Merci du commentaire Eric... !

Fidji, mercredi 25 septembre

Réveil a 6h15, taxi et en route pour le centre de plongée. Mon cœur passe de 50 à 120 pulsations minutes quand je vois les photos des bêtes affichées sur les murs. Elles sont énormes... Eric et Pierrot se moquent de moi gentiment. Bah allez, on se lance.

C’était fou !! Y’avait une vingtaine de requins là-dessous : des citrons, des gris, des bouledogues, des dormeurs, des pointes blanches de récifs et même un long malus (dingue !) Y’avait aussi deux énormes loches et j’arrêtais pas de dire « putain ! » ou « putain c’est trop beau, j’hallucine ! » dans mon détendeur. C’était absolument incroyable et j’aurais voulu rester là-dessous plus longtemps. Ces bêtes sont juste trop belles et majestueuses et j’arrive pas à comprendre qu’on puisse les massacrer comme on le fait... Et j’arrive toujours pas à croire que nous, humains, arrivons à bousiller encore notre propre planète. Coup de blues et moment de réflexion sur le bateau en revenant au centre de plongée.

De retour à terre on mange un morceau, on passe vite fait en ville et puis retour sur Mariposa. On largue les amarres vers 16 h en direction de l’ouest de l’île. Je fais mon premier quart de nuit de 08h à 23h (les gars sont vraiment cool... merci). Je fais des rêves à la con et dors pas bien.


Fidji - jeudi 26 septembre Réveil vers 07h00. Journée navigation, vent calme, mer calme, il fait beau, pas de grain. On va faire notre check out à la marina de Denarau. On a l’impression d’être à St-Tropez. On ne tarde donc pas et on se barre vite fait au calme, à côté de la petite île d'Etai. On fait un plouf dans l’eau, puis apéro-repas et dodo. Le coucher de soleil ce soir était sublime et plutôt photogénique. La vie est belle. Fidji - vendredi 27 septembre Réveil, méditation, étirements, petit-déj’ et cap sur le petit îlot de Monu. Il fait beau et chaud. Après-midi apnée et snorkeling, la visite et bonne et y’a plein de joli poissons là-dessous. Eric a croisé une tortue, Pierrot et moi sommes allés embêter une langouste et on a même réveillé un requin léopard. Que de beauté... Cap sur Malolo en fin d’après-midi.  On mouille, on mange et on met les voiles sur les Vanuatu. En mer - samedi 28 septembre J’étais à deux doigts de vomir mon petit-déjeuner. La mer est agitée, et ça m’emmerde d’être encore malade après presque un mois de navigation. Je fais mon quart de nuit de 20h00 à 23h00. En mer - dimanche 29 septembre Journée lecture, musique, méditation. On refait le monde avec Pierrot. Quart de nuit de 20h00 à 23h00. J’ai un peu la crève, suis pas au top de ma forme aujourd’hui.

Tanna, Vanuatu - lundi 30 septembre Pierrot me réveille et me dit : "Viens voir." Je sors, la tête dans le cul, et c’est très beau : on aperçoit le rouge du volcan sur l’île, et de l’autre côté, un superbe lever de soleil. Je préfère me rendormir que d’observer le spectacle. Je suis nulle. On va dans la "ville" principale pour faire la clearance. C’est l’afrique, ici. J’aime l’ambiance qui y règne. Je rêvais de poser mes pieds ici, me voici ! La clearance prend du temps. Les gens sont d’une gentillesse extrême. Le soir, j’observe les gars se délecter du Kava, l’alcool local. Éric se force à finir (il est poli.) Pierrot, lui, ne cherche pas à se forcer : c’est tellement dégueu qu’il préfère laisser les trois quarts de son verre. Moi ? Je rigole en les voyant faire. Tanna, Vanuatu - mardi 1er octobre Joyeux anniversaire Pierrot ! 37 ans, ça se fête ! (Je te taquine, l’ami !) On met le cap sur la côte est de Tanna et on se prépare à marcher et à monter le volcan de Yasur à pied. Tous les touristes le font en voiture et avec un guide. Comme d’hab, on fait l’inverse : pas de voiture, pas de guide. (Aucunement nécessaire de toute façon). Nous arrivons au pied du volcan en toute fin d’après-midi et négocions avec les caissières (bien sur, il faut payer pour monter) pour redescendre plus tard que les «  18h00 autorisées. » On arrive en haut juste pour le coucher du soleil et sommes heureux de se retrouver seul à admirer le spectacle qui s’offre devant nous. Il est plus de 18h00, tous les touristes redescendent avec leurs taxis et guides. Tant mieux. C’est juste extraordinaire, d’entendre le volcan souffler et cracher ses cailloux rouges énormes. Il est actif et c’est incroyable d’être là, a ses côtés... Vers 19h on sort le pain et le fromage et on grignote en admirant le décor. On redescend à pied et puis bon, on est quand même content qu’un local nous ramène en bagnole au dinghy. Ça nous a évité deux bonnes heures de marche dans le noir. J’ai remercié au moins 10 fois le volcan pour sa splendeur et sa grandeur... C’est trop beau, tout ça. Merci, merci la vie.


Tanna, Vanuatu - mercredi 2 octobre On se lève et partons au nord-ouest, pour mouiller Mariposa et aller fouiner dans une blue cave, qui à l’air magique. Mais la mer est agitée... Dommage. On laisse tomber la blue cave et on met le cap sur l’île d’Efate, à Port-Vila plus exactement. À Dieu Tanna. J’y serais bien restée un ou deux jours de plus... Pendant mon quart, sous les étoiles, je me demande si depuis la Nouvelle-Calédonie je ne vais pas m’envoler sur Auckland... Déjà, parce que je veux profiter de rester en Nouvelle-Cal au moins deux ou trois semaines. Je sens que j'ai besoin de me poser un peu. Ensuite, parce que si j’y vais en bateau, je pars pour une dizaine de jours de navigation, et comme je ne tiens pas particulièrement à me retrouver dans le sud du Pacifique en novembre à cause des cyclones... Et puis aussi, on remontera contre le vent. Donc je vais être malade comme un chien et puis bon, j’aurai presque passé 5 semaines en mer en tout. C’est déjà pas mal, pour une première fois. On verra. En attendant le reste de la nuit est agité en rêves et en cauchemars, au même rythme que la houle là-dehors. Port Vila, Vanuatu - jeudi 3 octobre La paperasse est en ordre: je peux débarquer quand je veux. Demain, normalement... Pierrot et Éric vont monter sur Espiritu Santo, puis sur la PNG. Je fais un peu de shopping aujourd’hui et je profite d’Internet dans un bar. Tout le monde regarde le match de rugby, il y a une bonne ambiance. Je ne me soucie pas trop de trouver un embarquement sur Lifou ou Nouméa. Ici, il y a plein de bateaux et je ne suis qu’à quelques miles de la Nouvelle-Cal...

Port Vila, Vanuatu - vendredi 4 octobre Réveil à 7h00. Méditation, PDJ et préparation de mes sacs à dos. Patricia et Hug, un couple de Français avec qui Pierrot avait sympathisé la veille, viennent prendre le café à bord. Ils vivent en Nouvelle-Calédonie, naviguent depuis un bout de temps et sont ultra gentils. Ils connaissent bien Espiritu Santo et ont un spot de rêve pour mouiller, en face d’un Resort de luxe. À les entendre parler d’Espiritu Santo et de ces "blue holes" ça me met l’eau à la bouche. Je crève d’envie d’y aller. Mais c’est à 135 nautiques au nord d’ici. Et ensuite je sais que je vais m’emmerder à redescendre sur Nouméa ou Lifou... Et Pierrot ne m’aide pas en me disant que "ça lui ferait grave plaisir que je reste un peu... Et puis tu sais, Lise, la PNG c’est incroyable pour plonger ! Si tu veux, j’te largue à Bali... Tu prendras un billet d’avion et j’te promets que début novembre tu commenceras à marcher... Viens ! Ça va être incroyable ! Bon, alors, ils sont bien là dehors tes sacs à prendre l’air, mais tu les rentres, tu ranges tes affaires et tu restes, dacc ?" Je regarde mes sacs, je regarde Pierrot, je regarde Mariposa, je baisse la tête... Je ne sais pas quoi faire. Je suis la pire en prise de décision. À La base, je voulais aller en NZ en bateau. J’aurais déjà dû, en quelque sorte, débarquer aux Fidji ou aux Tonga il y a quelques semaines, et trouver un bateau depuis là-bas. Dans l’idéal, j’aurais voulu commencer mon trek mi-octobre mais comme vous l’avez bien compris, j’étais (et suis encore) trop bien, sur Mariposa... Et donc résultat des courses, ça fait déjà presque 5 semaines que je suis à bord. Et c’est génial ! Et j’ai trop de chance... Et j’apprends plein de trucs. Et j’adore Pierre. Et j’adore Éric... Je sais que mon projet pour la NZ est bien enraciné dans mon crâne et que de toute façon je vais la faire, cette marche. Début novembre dernier délai, du nord au sud, c’est décidé. Mais jusque-là... Pourquoi ne pas monter sur Espiritu Santo, puis sur la PNG, puis tracer sur l’Indonésie pour effectivement, débarquer à Bali (juste le temps de mater les beaux surfeurs, of course) et ensuite prendre un billet d’avion pour Auckland ? Les dates tomberaient à pic, en plus. Mais d’un autre côté, l’idée de me poser en Nouvelle-Calédonie me plaît bien. Là-bas aussi, je pourrais plonger, faire de l’apnée... Et puis, il y a Charlotte et j’aurais toujours le choix de naviguer ou de m’envoler de Nouméa pour Auckland à la fin du mois... Et puis ça doit être superbe, la Nouvelle-Cal et je sais que je prendrai le temps d’aller en PNG d’ici deux ans, parce que je compte de toute façon rester dans le Pacifique et que depuis l’Australie, l’année prochaine, je serai à côté du détroit de Torres et de toutes ces îles incroyables dans lesquelles je pourrais prendre le temps de plonger et de naviguer avec d’autres personnes... Arrrfff... Dualité, dualité ! Oh, je sais ce que vous vous dites : Putain Lise, quelle vie de merde ! Choisir entre Tahiti et le Népal, entre l’Indonésie et la Nouvelle-Calédonie... Dur dur ! Riez, mes amis ! Mais sachez que c’est un calvaire pour moi, de choisir à chaque fois... Déjà, parce que j’ai peur de faire "le mauvais choix". J’ai toujours peur de me planter et d’ensuite avoir des regrets. Ensuite, parce que je m’attache aux gens... Et ça, ça complique toujours les choses. C’est simple si l’on considère que nous sommes toujours au bon endroit au bon moment, et que la notion de mauvais ou de bon choix n’existe pas, car la vie décide pour nous et fait bien les choses... Mais là, dans l’immédiat, tout cela ne m’aide guère. Bref, sur ce, nous disons au revoir à Hug et Patricia qui s’en vont sur leur dinghy et je mets mes sacs dans celui de Pierrot, en me disant que j’ai encore deux ou trois heures pour me décider. Je fais un petit coup de ménage, je dis au revoir à Mariposa et on part en ville. Les gars me laissent dans un café et partent faire leur check out pour sortir du pays. En vrai, ils vont encore rester quelques jours sur les Vanuatu, mais niveau paperasse, c’est souvent mieux de tricher un peu... Disons pas mieux, mais plus simple. Bref, fuck la paperasse, pour finir ! On se retrouve au café, je suis en train de boire une bière. Éric part faire deux - trois courses et Pierrot reste avec moi. Il essaie à nouveau de me convaincre de rester. "Aller Lisou, la Nouvelle-Cal pour une prochaine fois..." C’est tentant... Vraiment tentant, bordel ! Mais ma petite voix me dit que chaque chose à une fin et qu'Eric a tout à fait raison : Il ne faut pas regarder "ce/ceux qu’on laisse derrière soi, mais ce vers quoi l’on tend. La vie est ainsi faite." Je le sais bien... Il a une belle philosophie, Éric. Je l’apprécie vraiment beaucoup. J’inspire, j’expire... Meditation time ? Non. Une deuxième bière s’il vous plaît ! Je crois bien que je suis en train de croire que l’alcool va m’aider à me décider. Je dis à Pierrot "Écoute, c’est génial, ce que vous faites ; la PNG, l’Indonésie tout ça... Mais c’est votre trip à vous, pas le mien... On a passé plus d’un mois ensemble. Un mois incroyable et fabuleux. Merci, merci pour tout... Mais je reste-là. Je vous dis au revoir." Il prend mes sacs, fourre mon téléphone dans sa poche et me dit : "Aller, dis pas de connerie, viens avec nous !" Arrrrggg je suis trop influençable... Mais pas sur ce coup-là. "Non, je reste là, vraiment." Il me dit : "Je peux pas te laisser là comme ça !" Je soupire et lui réponds que j’ai traversé une partie du cachemire à pied, que je ne compte plus les km parcourus en stop, ni les heures passées dans les bus / trains de nuit en Inde, et ailleurs, sans parler des frontières plus ou moins chaudes traversée le pouce levé, ni sans compter les heures de taxi brousse que je me suis tapé à Madagascar ainsi que tous ces pays que j’ai traversé seule depuis tout ce temps... T’inquiètes pas, Pierrot, ça va aller. J’vais m’en sortir !" Il soupire et pose mes sacs à terre. Je prends Éric dans mes bras. En montant dans le dinghy il me fait des blagues et ça me fait rire. Il me fait toujours rire, de toute façon, Éric. Ensuite, c’est au tour de Pierrot de m’enlacer. Il me serre fort fort... Il me dit qu’on se reverra bientôt, qu’il y aura toujours une petite place pour moi sur son magnifique bateau... Je lui dis que l’océan indien en 2021, ça me tente pas mal. "Surtout si tu peux me larguer à Port-Blair. » Lui dis-je. Il secoue la tête."Je ne vais pas te laisser à Port-Blair Lisou !" "Si si, j’te jure, c’est mon rêve, les îles Andaman et Nicobar. C’est mon rêve, Pierrot. Tu me largueras à Port Blair d’ici deux ans... Dac ?" On se raconte encore deux ou trois conneries et à son tour de monter dans l’annexe. Je les regarde partir en leur faisant des signes de la main. Quand je ne les vois plus j’ai les larmes qui montent aux yeux. Alors je me retourne, je cache mon visage entre mes mains et je pleure toutes les larmes de mon corps. Je déteste toujours autant ces moments-là... Même après toutes ces années passées à les vivre et les revivre en permanence. Je m’accroche vite et je me sépare toujours la boule au bide et la gorge nouée. Merci pour tout, les gars... Merci. Je retourne pour prendre une troisième bière quand... merde ! Mon téléphone ! Dans la poche de Pierre. Fais chier ! Jimmy, un jeune local qui avait son bateau à moteur parqué à côté du restau m’emmène le récupérer. Honnêtement, j’ai encore une dernière seconde d’hésitation à prendre mes sacs et à remonter sur Mariposa... Mais non. Je ne prends rien. Je récupère juste mon téléphone que Pierrot me tend depuis la jupe côté bâbord. Je le salue une dernière fois et retourne à quai. Je suis triste. Je trouve un lit en dortoir pour pas cher. Je passe la fin d’après-midi autour de la marina à demander aux gens s’ils veulent bien m’embarquer pour Lifou ou Nouméa. Pas de réponse positive pour l’instant. Tracé de notre trajet de Tahiti à Port Vila, à bord de Mariposa





Nouméa, Nouvelle-Calédonie - du 4 octobre au 8 novembre 2019


Je me suis envolée de Port Vila pour Nouméa le mardi 8 octobre après plusieurs jours d'attente à Port Vila à essuyer des refus et à essayer de joindre la Nouvelle-Calédonie en voilier. Puis... j'ai glandé. J'ai passé 1 mois chez mon amie Charlotte, à écrire, à profiter de la piscine, à discuter avec tous ses colocataires (ils vivent à dix dans une grande maison avec piscine.)

Nous sommes aussi allés voir Panda Dub sur l’île au canard, et j’ai passé une pure nuit de folie. J'avais besoin de faire la fête.


J’ai aussi visité l'île de Lifou pendant quelques jours. Un lieu magnifique, magique et incroyable.


Et puis, j'ai eu de la chance. Un marin que j'avais rencontré au Vanuatu, et avec lequel j'étais restée en contact, m'a donné le numéro d'un de ses contacts, qui était motivé à l'idée de m'embarquer avec lui pour traverser de Nouméa en Nouvelle-Zélande. J'ai donc appelé Frank, (le capitaine du voilier) et nous nous sommes rencontrés autour d'un café. Il m'a dit qu'il était prêt à mettre les voiles à partir du 26 octobre, dès qu'une fenêtre météo potable se présentera. Son bateau est magnifique : c'est un Jeanneau de 14 m. (Sun Odyssey). Un bon bateau, solide. Frank est génial. Il est américain, et c'est un ancien professeur de biologie, pédagogue, et calme. Il a une bonne énergie et beaucoup d'histoires à raconter.


À bord de "Another Adventure" (Addie, pour les intimes), il y a aussi Camille, une française de 28 ans, qui navigue avec lui depuis le mois d’avril, et Cameron, son ami kiwi qui viendra nous rejoindre quelques jours avant notre départ. Il me tarde de préparer le bateau et de repartir en mer.


Nouméa et île des Pins, Nouvelle-Calédonie - du 9 au 11 novembre

On fait la paperasse pour le départ, les courses, on prépare le bateau. Nous mettons les voiles en direction de l’île des pins le 10 octobre au matin. Ah, l’air marin, quel bonheur ! Nous passons une journée sur cette île, à se balader et à nager. C’est tellement beau, ici...


Île des Pins, Nouvelle-Calédonie - mardi 12 novembre

Pas de houle et très peu de vent dans l’ensemble. La grand-voile ainsi que le génois sont hissés et nous avançons au moteur. On a un vent de face, est faisons du très, très près. Moyenne de 9 noeuds au mieux et de 5 noeuds au moins mieux. On tire des bords, mais pas tant que ça non plus. Nous dévions de 45 degrés de notre cap. On ne peut pas faire mieux, aujourd’hui. Camille, Cameron et moi faisons des quarts de 4 heures chaque 4 heures. Frank est là et on peut le déranger à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit si besoin. Notre capitaine est très attachant et c’est une personne que j’apprécie énormément.

Quarts de Camille : de minuit à 4h du matin puis de midi à 16h

Quarts de Cameron : de 4h du matin à 8h puis de 20h à minuit

Quarts de Lise : de 8h à midi puis de 20h à minuit

Le levé de lune, ce soir, est spectaculaire. Le ciel a été dégagé toute la journée et l’est encore cette nuit. La lune apparaît comme un soleil de minuit. Elle est immense et quasiment pleine.


En mer - mercredi 13 novembre

Je m’entraîne à barrer ! C’est ludique, mais j’ai peur d’empanner. Aujourd’hui la mer est aussi lisse et calme qu’un lac. La GV et le génois sont hissés et il n’y a pas de vent. Nous naviguons au moteur quasiment toute la journée. Il n’y a pas un nuage dans le ciel, il fait beau et chaud. Le vrombissement de l’engin fatigue tout le monde, mais c’est la seule manière de maintenir une vitesse moyenne de 5 noeuds. J’ai un scopoderm plaqué derrière chaque oreille, ce qui m’épargne du mal de mer. Bon, au vu des conditions, je ne sais pas s’il serait possible d’en souffrir vraiment. On a un petit vent du sud dans le pif en milieu d’après-midi. Ce soir, la lune est rousse. J’ai admiré le lever de lune, et l’aurais presque confondu avec un coucher de soleil, tant elle était rouge et ronde. Une boule de feu orangée éclairant l’horizon à l’infini. Tout simplement splendide. Le ciel est encore dégagé et il n’y a pas un pet de vent. Le génois à beaucoup faseyé, on l’a enroulé avec Camille vers minuit. J’ai bien dormi, cette nuit.


En mer - jeudi 14 novembre

Vent nord-ouest à 11h puis au cul un peu plus tard. La mer est calme, très calme. Il y a quelques vaguelettes et ça moutonne un peu. Le vent est faible, le ciel, dégagé. Nous avons avancé au moteur toute la nuit passée et une partie de la matinée aujourd’hui. On a hissé le Code D tôt ce matin mais il faseyait trop, on l’a enlevé. GV et génois hissés. Nous maintenons une allure de 4.5 noeuds. On est loin des 10 noeuds de Mariposa, cependant, j’apprécie la navigation sur un monocoque, c’est plus agréable, je trouve. Il est 10h et nous éteignons le moteur. Quelle joie de retrouver le silence ! Camille m’a appris à faire un cake au yaourt. Elle est top, Camille. C’est la reine de la bouffe ! Le vent se lève un peu dans l’après-midi. On hisse le Code D à nouveau, c’est trop génial.


En mer - vendredi 15 novembre

On fait du très près, ce matin et avons plus ou moins 10 noeuds de vent vrai. Moyenne de 5 noeuds. J’ai essayé de barrer, on a empanné, of course, haha. On a avancé nos montres de +2h pour afin de nous caler sur le fuseau horaire Néo-Zélandais. On a quand même pas mal avancé au moteur, aujourd’hui. Le ciel est encore et toujours dégagé, le soleil brille et nous n’avons croisé aucun autre bateau depuis notre départ. Je dors énormément à cause de l’air marin et des scopoderms, aussi. Un scopoderm doit normalement suffire à éradiquer tout symptômes du mal de mer, mais comme j’en ai bavé pendant des semaines sur Mariposa, là, j’en ai collé directement deux. Du coup ça doit être ça qui me claque à ce point. J’ai un petit effet secondaire depuis hier : je sens une pression plutôt intense au niveau des yeux. Du coup, je décide d'en retirer un. Il est 18h45, la mer est toujours aussi calme et il y a un faible vent direction est, nord-est. On avance gentiment aux alentours de 4, 5 nœuds. GV et génois hissés. Le soleil se couchera plus tard à partir d’aujourd’hui.

Durant mon quart, ce soir, j’ai eu droit à un coucher de soleil et à un lever de lune absolument phénoménaux. Les deux étaient rouge sang, c’était magnifique. Je suis toujours un peu moins rassurée, quand il commence à faire nuit. Nous ne sommes pas grand-chose, au milieu de cet océan. Nous ne sommes pas grand-chose, à l’échelle de la vastitude du monde.

En mer - samedi 16 novembre

Ne me demandez pas pourquoi, mais j’ai manqué le réveil, ce matin. Il est 8h45 quand j’immerge de mon sommeil profond scopodermé. Cameron est à la barre et me sourit. « Moi non plus, je ne me suis pas levé, ce matin haha ». Je demande aux copains pourquoi ils ne m’ont pas réveillée et ils me disent « tranquille, Lise, y’a pas de soucis ». Ils sont à la cool, c’téquipe !

En milieu de matinée, on a aperçu un énorme cargo qui remontait depuis le sud. Il était à environ 6 miles de nous. Prudence à partir de maintenant, surtout la nuit, car on risque d’en croiser davantage. Et oui, la Nouvelle-Zélande n’est plus très loin !

La bonne nouvelle, c’est qu'on file, aujourd’hui. Pendant la nuit, Camille a arrêté le moteur et apparemment on avance à 6-7 noeuds depuis bien 6 ou 7h maintenant. Frank nous dit qu’à ce rythme-là, on sera à Opua lundi. On a mis le code d vers 9h30 puis on l’a enlevé avant de l’installer à nouveau en milieu d'après-midi. Le ciel est dégagé, il fait beau et j’ai l’impression de sentir l’air de la montagne. Un air frais et sec. L’air que nous sentons tous, une fois que l’automne cède sa place à l’hiver. Je me réjouis de fouler le sol de la NZ. J’ai pas mal discuté avec Camille, aujourd’hui. Elle me fait du bien. On a fait des pics de 8.4 nœuds en fin de journée. La classe !

Il est 18h et je discute avec Cameron du Te Araroa. Il l’a fait (ainsi que le PCT), il y quelques années. Il me dit que c’est une excellente idée de l’entamer du sud au nord. Ça me rassure dans mes choix. Aujourd’hui, y a une houle de 1m. environ mais, à l’heure qu’il est, la mer a retrouvé son calme plat. Normalement, on va se prendre des vents de 16 noeuds dans la nuit de demain à lundi. Est-ce le calme avant la tempête ? Rien de moins sûr, mais en attendant, nous savourons la quiétude des conditions. Ah oui, nous n’avons pas mis le moteur du tout aujourd’hui, et tout le monde en est ravi.


En mer - dimanche 17 novembre

On avance à fière allure ! Pas de moteur, aujourd’hui et il fait toujours beau. Normalement, nous arriverons à Opua demain.


Pahia, Bay of Islands, Nouvelle-Zélande - lundi 18 novembre Terre en vue ! Gros vent et grains à l’approche des côtes. Ah, enfin un peu d’action, mon moussaillon ! J’ai un big smile sur la face, à moi la NZ ! Nous arrivons à 16h tout juste. Timing parfait, puisqu'on a le temps de faire la paperasse et de converser avec les autorités. Je crains qu’ils me demandent une preuve de sortie du pays, mais ils tamponnent mon passeport sans piper mot. 3 mois de visa touristique donc, superbe ! Je le prolongerai en temps voulu. On décide d’aller au restau de la marina pour fêter notre arrivée. On y va et j’ai a peine fais deux pas dans le restaurant que j’entends un « Hey, Lise ! ». Je me retourne et qui c’est que je vois pas ? Mon pote James ! Putain, James est là ! "Mais c’est qui, celui-là ? » C’est un mec en or, un Australien, Skipper de métier, qui est passionné par son job, et qui m’avais contactée sur FB suite à l'annonce que j’avais posté lorsque je cherchais un bateau en Polynésie Française. On s’était croisé dans un restau (par hasard) à Raiatea, et sommes restés en contacte depuis. Je suis trop refaite de le retrouver ici !


Pahia, Bay of Islands, Nouvelle-Zélande - mardi 19 novembre Réveil tôt. Cameron est déjà prêt à partir. Il va prendre un bus pour Auckland à 8h, et s’envolera pour Christchurch, là où il vit, dans l’après-midi. Camille, elle, banni les avions depuis longtemps, elle le rejoindra donc en bus. Elle partira vers 13h aujourd’hui. Frank, lui, va rester en NZ jusqu’au mois de mai l’année prochaine. Il descendra à Whangarei dans quelques semaines pour participer au mariage d’un de ses amis, et naviguera un peu sur les côtes quand l’envie lui prendra. Quant à moi, je décide de rester ici aujourd’hui. Je partirai en stop demain. J’ai un peu moins de 2’000 kms à traverser le pouce levé, avant d’atteindre Bluff, et d'attaquer ma balade. Je ferai un crochet de deux jours à Wellington, pour saluer mon amie Ava, que j’ai rencontrée au Népal en début d'année. Je profiterai également d'être dans la capitale pour faire tous les achats nécessaires pour mon trek. D’ailleurs, je m’inscris illico presto sur un groupe FB "pour backpackers qui voyagent dans le pays" et demande s’il n’y aurait pas un magasin de seconde main dans le coin pour tout ce qui concerne le camping et la marche. J’ai surtout besoin d’un matelas et d’un sac à couchage ultra légers. Deux heures plus tard, une femme m’appelle et me dit qu’elle et son mari ont justement un duvet et un matelas de superbe qualités qu’ils n’utilisent plus depuis des lustres. Ils seront à Pahia dans deux jours, et peuvent donc me les apporter. La chance du débutant me sourit déjà !  Cela signifie que je partirai après-demain, finalement. Ce qui est très bien. J’aurai le temps de reprendre contacte avec la Suisse demain, et de trier et préparer mes affaires, car, autre détail important, je ne voyage pas léger : j’ai deux sacs à dos rempli de fringues, masque, tuba, palmes, mon ordi, mon appareil photo, quelques bijoux, ma liseuse, des bouquins, des cahiers dans lesquels j'ai gribouillé depuis toutes ces années de voyages, et encore d’autres trucs plus ou moins utiles. Frank me rassure, et me dit qu’il n’y a aucun souci, que je peux tout laisser sur le bateau. Il me dit qu’Addie ne bougera pas de là, et qu’en cas d’urgence, ou s'il devait partir, il laisserait mon attirail chez des amis qui vivent à Whangarei. Je suis soulagée d’un poids. Tout me sourit. Tout ! Merci, merci la vie.


Pahia, Bay of Islands, Nouvelle-Zélande - mercredi 20 novembre Réveil, méditation et stop jusqu’à Pahia, pour retirer du cash. La première voiture qui passe s'arrête. On m’avait prévenue, que le stop en NZ, c’était trop facile ! J’en ai désormais la confirmation. Je retrouve ensuite les personnes qui me vendent le sac à couchage ainsi que le matelas, avant de filer sur Addie prendre mon sac à dos et fais un gros câlin à Frank avant de m’en aller. Il est déjà 16h, et j’ai bon espoir de pouvoir faire un peu de route, aujourd’hui. Il fait beau et jour jusqu’à 22h, c’est génial ! Moi qui ai passé tellement de temps dans les pays tropicaux, avec pour habitude, de voir la nuit tomber entre 18h et 18h30, je me retrouve ravie d’avoir des journées plus longues. J’avais oublié la sensation de légèreté que procure l’été ! Je lève le pouce, tout sourire. J’ai une sensation grisante de liberté et ne pourrais être plus heureuse qu’en cet instant. Le soleil brille dans un ciel dénué de nuages. La vie coule dans mes veines, je transpire de bonheur et respire la joie de vivre. J'ai des guilis dans le ventre, quand je pense à l’aventure qui m’attend. Il me reste de la route à faire, avant de marcher, mais déjà, l’idée du Te Araroa rempli tous mes sens d’allégresse et de béatitude. Y’a plus qu’à !



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