15.02.20 (J 50)
Je pars à 8h, sans manger. Ce n’est pas malin je sais, mais bon, là, Radix commence à me sortir par les oreilles. Aujourd’hui, c’est plat à mourir sur 30km. Mon genou me fait mal, même à plat. C’est une longue journée et j’ai hâte qu’elle se termine. Je monte à 1’130m. et je galère à y parvenir. Je ne suis pas à 100% de ma forme et de ma motivation ces derniers jours. Il fait chaud, et je bois plus de 4 litres d’eau durant la journée. J’arrive à Anne hut vers 20h30. Nom de Dieu ! J’ai mal partout et mon genou est fusillé. Tant pis, il n’y a pas moyen que je fasse marche arrière. Jamais, au grand jamais, je ne ferai marche arrière.
16.02.20 (J 51)
Le terrain est plat et il y a de gros nuages menaçants dans le ciel. Je traverse une plaine immense et sèche, dans laquelle je ne croise pas un chat de la journée. Je ne suis pas du tout concentrée aujourd’hui, et je me perds.
A 15h, il se met à pleuvoir. Tiens, de la pluie, ça faisait longtemps !
J’arrive à la Waiau Hut vers 17h et, par chance, il reste une couchette pour moi. Demain me fait peur. Je vais littéralement devoir grimper pour joindre un col. Apparemment, le chemin pour y accéder est escarpé et aérien. Quand je vois la gueule du temps, dehors, ça me rassure encore moins. Si le temps est trop dégueu, demain, je reste ici me reposer. Je n’ai pas envie de glisser le long d’un précipice toute seule là-haut !
En attendant, je fais une sieste et me repose. Parce que, vu l’état de mon genou, grimper le col ne va en tout cas pas être une mince affaire.
A mon réveil, je discute avec Chris qui me dit qu’effectivement, je n’ai pas envie de me retrouver seule là-haut. Putain, j’ai l’impression que je m’apprête à gravir le Kangchenjunga, avec cette histoire de col !
17.02.20 (J 52)
Je me réveille en même temps que les autres. Il fait tout gris, dehors. Je suis prête à passer ma journée au lit quand j’entends un mec dire : « I’m going to the pass today. I chilled yesterday but want to keep on moving now.” * Bingo ! Je saute du lit, prépare mes affaires et le suis. Il s’appelle Dario, il a 23 ans et vient de Turgau, en Suisse. On s’entend bien et on discute un peu. Il a un sac de plus de 20kg. Je le plains.
* « Je vais au col aujourd’hui. Je me suis reposé hier et maintenant j’ai envie d’avancer. »
On grimpe au col de Waiau dans la bonne humeur. Déjà, la météo n’est pas si pire que ça. Ensuite, le chemin n’est ni escarpé, ni aérien. Ça grimpe, certes, et on utilise nos mains pour monter et s’agripper mais ce n’est rien comparé à ce que je m’étais imaginé. Une rigolade, en fait ! Je suis même étonnamment heureuse de faire ce dénivelé. Pour moi, le terrain était vraiment trop plat ces derniers jours. La montée se passe donc très bien. Le problème, c’est la descente. La pente est raide et caillouteuse ; ça glisse. Le temps est toujours gris et cette descente de malheur me défonce les genoux. Une horreur. Une fois arrivés en bas, je dis à Dario de ne pas m’attendre. Je vais marcher hyper lentement, en traînant ma jambe gauche sur les deux derniers kilomètres avant d’arriver à la Blue Lake hut. 2h30 plus tard, quand j’y arrive enfin, je m’y effondre littéralement de douleur. Quelle merde... J’ingurgite trois sachets de bouffe Radix, soit plus de 1'500 kcal, en l’espace de 20 minutes. J’ai une faim de loup. Il y a une bonne ambiance dans la hut. Une jeune fille est là, posée sur un matelas au coin du feu. Je ne tarde pas à l’imiter : je prends le matelas d’une couchette et m’y allonge pour bouquiner un peu. Il fait froid en cette fin d’après-midi.
Je ne sais pas pour quelles raisons, mais je lui demande si elle n’aurait pas un peigne ou une brosse à cheveux à me prêter. Elle me sourit et me tend une brosse. Je vais dehors pour démêler la tignasse qui me sert de cheveux, en pensant que ça fait trois mois pile poil que mes cheveux n’ont pas vu l’ombre d’un peigne ou d’une brosse. Je vis un pur moment d’extase !
18.02.20 (J 53)
Je me lève, prépare mes affaires et me mets en route. 3h30 plus tard, après avoir traversé une forêt encombrée, je me trouve à la West Sabin Hut. J’ai mal aux genoux et suis fatiguée. Je décide de rester ici le reste de l’après-midi et de me reposer. Je mange, je dors et bouquine. Dario est arrivé un peu plus tard que moi et a aussi décidé de passer le reste de sa journée ici.
19.02.20 (J 54)
J’attends que Dario prépare son monstre de sac à dos et on se met en route. Aujourd’hui, objectif Tarn Hut. J’ai hâte que cette étape soit derrière moi. J’ai hâte d’arriver à St-Arnaud. Je me sens sale, je rêve de prendre une douche, de me laver correctement. Et je crève de faim, ces jours-ci. Je mange beaucoup plus que d’habitude, même si je dois m’efforcer d’avaler ce que j’ingurgite -Radix commence à me dégoûter-. C’est tellement pratique, le lyophilisé ! Grâce à cela, mon sac est très léger mais sinon, la texture reste la même et, par moments, elle m’écœure.
On grimpe dans une forêt afin d’atteindre un col. Je monte en volant. Mon genou ne va pas trop mal lors des montées. Par contre, je sais que j’en chierai pendant la descente. Tant pis, autant me concentrer sur la montée ; la descente, on verra au moment venu.
Je suis au taquet parce que je sais que demain je serai à St-Arnaud.
Marcher Te Araroa, ou n’importe quelle autre randonnée longue distance, équivaut à travailler. Un travail bien rythmé dans lequel, par moments, il faut tout donner. J’ai une routine et des habitudes qui se sont instaurées au fil du temps. Il y a également des objectifs à atteindre ; et c’est quelque chose que je dois prendre un minimum au sérieux, si je veux pouvoir avancer efficacement. Mais je vous l’accorde. Des fois, comme dans n’importe quel travail, on n’a pas toujours envie de se lever le matin pour y aller. Ici, c’est pareil, j’ai pas toujours envie d’y aller. On peut aussi comparer les fins d’étapes aux fins de semaines de travail. On est tout de suite plus motivés quand on sent le weekend approcher, non ?
Lorsque je me retrouve presque en dehors de la forêt, je croise deux SOBOS avec lesquels je discute cinq minutes. La fille me donne une sucette. « Merci, tu as refait ma journée ! » lui dis-je.
Je poursuis ensuite en direction du col. Le chemin est maintenant ouvert et exposé. Le soleil brille, il n’y a que très peu de vent. La vue sur les montagnes est belle. J’attends Dario, et l’encourage lorsque je le vois arriver. Je sais que c’est dur d’avancer avec un sac lourd. La descente n’est finalement pas si pire que ça. J’ai passé une petite demi-heure à peine à sauter d’un gros caillou à un autre et à essayer de ne pas tomber et voilà, la fin de la pente la plus abrupte est derrière moi. Ensuite, elle se fait beaucoup plus douce, sur un joli chemin bien propre.
Je marque un bref arrêt à la Upper Travres Hut pour manger. J’en profite pour faire sécher, sur la barrière extérieure, mes fringues qui puent l’humidité et forment une boule au fond de mon sac. Dario me rejoint alors que je m’apprête à partir. Je suis tellement motivée à être à St-Arnaud que je pourrais faire 20 km de plus aujourd’hui. Dommage que mon genou, lui, ne tienne pas le rythme... Je poursuis mon chemin jusqu’à la John Tait hut, où je dormirai ce soir. J’y arrive vers 15h. Je me rince vite fait dans la rivière et passe le reste de l’après-midi allongée dans mon duvet, le genou souffrant. La hut se remplit petit à petit de SOBO et de marcheurs qui sont venus faire le circuit de trois jours. Elle est presque pleine. Quand Dario arrive, on mange un morceau et on discute un peu. Je dors mal, cette nuit, parce qu’un mec ronfle. Super !
20.02.20 (J 55)
Il est 6h40 lorsque je sors de mon sommeil. 20 minutes après, mon sac est prêt et je m’en vais. J’ai hâte d’arriver à St-Arnaud et de pouvoir sauter dans une douche ce soir. Mes fringues puent l’humidité, mon sac pue la transpiration, et moi, je pue un mélange des deux. Je pars à jeûn, parce que je n’en peux plus de me gaver de nourriture lyophilisée. Aujourd’hui, je suis HS, KO, épuisée. Je crois que ma douleur au genou me plombe le moral. Le terrain est plat, il fait beau, chaud et sec. Je longe une rivière, traverse une plaine dégagée et traverse une ou deux forêts. J’atteins la Lakehead hut, et m’y pose un petit quart d’heure pour manger. Je rêve de bouffe, ça tourne à l’obsession, putain ! C’est fou comme la nourriture me prend tout : mes pensées, mon énergie, mes rêves les plus fous !
3h plus tard, j’atteins le petit bled de St-Arnaud. Je crie victoire ! Enfin, presque. Mon genou va de mal en pis. Je décide de faire du stop en direction de Nelson, une glace Magnum aux amandes enfournée dans ma bouche. Mhhh, un régal !
Un chasseur ex-prisonnier me prend en stop - Même pas peur ! -. On rigole bien, on discute de tout. Je m’excuse platement pour l’odeur que mes affaires et moi-même dégageons. Ça le fait rire. Il me dépose pile devant l’hostel que j’ai réservé un peu plus tôt. Je file sous la douche et met TOUTES mes fringues à laver. Par chance, à l’entrée de la buanderie, je tombe sur une caisse en bois sur laquelle est écrit « servez-vous ». Je l’ouvre et oh, bonheur, elle est remplie de fringues ! Ça tombe bien, parce que moi, j’étais prête à passer la journée entourée dans la serviette de bain que j’ai déniché dans le local des femmes de ménages.
Je trouve un training et un t-shirt pour me couvrir en attendant que ma machine tourne et que mes fringues sèchent. Je vais dans ma chambre et tombe sur Dario : « Hahah, mec ! J’en étais sûre, que j’allais te retrouver ici ! » Il me sourit : « Moi pareil ! C’est cool ! »
Je tombe ensuite sur une pizzeria (la meilleure de tout le pays) dans laquelle je savoure une lasagne et un tiramisu fait maison. Un orgasme gustatif !
J’écris d’ailleurs ces lignes face à mon assiette de tiramisu que j’ai léchée haha !
Je me sens propre et fraîche et mon estomac est rempli de bonheur. Le seul hic, c’est ma douleur au genou.
En arrivant à Nelson, j’ai dévalisé le supermarché New World ! Voici une petite vidéo que j’avais faite pour Mike. Attention les dégats !
Du 21.02.20 au 28.02.20 (J 0)
J’ai espéré que mon genou guérisse miraculeusement en deux jours ce qui, bien sûr, ne fût pas le cas.
J’ai appelé Alice, ma future belle-sœur, qui est physio, et lui ai expliqué que j’avais, selon « Guru Google », une douleur qui semblait s’apparenter au syndrome de l’essuie-glace. Une tendinite rotulienne serait aussi probable, mais pas sûr à 100%. C’est vrai qu’il n’est pas facile de poser un diagnostic à distance, et encore moins de savoir exactement de quoi il en résulte. Surtout sans possibilité de faire de tests, de palper le genou, et de montrer clairement où était ma douleur. Et puis, qu’y avait-il à faire, de toute façon ? Pas grand-chose. J’ai mis une genouillère et me suis forcée au repos. J’ai passé une semaine à soigner mon genou à dose de massages, d’étirement, de yoga, d’heures de relaxation dans le sauna de l’hostel (si, si, un vrai de vrai !), et de repos. J’ai bu beaucoup d’eau et, on ne va pas se mentir, j’étais quand même contente de pouvoir passer quelques jours affalée sur un matelas douillet à me lobotomiser la cervelle à coup de séries Netflix.
Au bout d’une semaine, même si je sentais que « ce n’était pas encore tout à fait ça », j’ai préparé mon baluchon et ai rejoint le trail, là où je l’avais laissé. La prochaine étape de mon parcours n’était pas des moindres, j’allais m’attaquer au fameux Richmond Ranges.
Ah, le Richmond Ranges !!! On m’en a tellement parlé, depuis le début du mois de décembre !
Un nombre incalculable de SOBO m’ont tous et toutes, racontés les mêmes histoires à propos de cette chaîne de montagne rocambolesque. On m’en a servi à toutes les sauces, à coup de : « c’est dur », « c’est horrible », « faut être en forme », « faut être bien préparé », « c’est 10 jours de dénivelé pas possible », « c’est la partie la plus longue de tout le trail en autonomie complète », « il faut prévoir pour 12 jours de nourriture, au cas où la météo se gâte et que tu restes bloquée dans une hut, ce qui arrive très souvent », « la météo est imprévisible », « tu vas mouriiiir ! » Bon, ils ne m’ont pas dit : « tu vas mouriiiir », mais ça sonnait comme si. Moi, les discours, ça fait longtemps que je ne les écoute plus vraiment. Chacun a des opinions différentes concernant les étapes du Te Araroa. Mais là, j’avoue, qu’à force de me l’entendre dire et répéter, j’ai commencé à me méfier du Richmond Ranges – je crains le pire -.
C’est pour cette raison, d’ailleurs, que je voulais que mon genou soit complètement guéri avant de m’aventurer dans ces montagnes. Le Richmond Ranges, c’est quand même une étape d’une dizaine de jours, loin de tout. Il était hors de question de faire marche arrière ou de devoir appeler un hélico en cas d’urgence, parce que mon genou m’aurait lâché au milieu d’une pente abrupte ou au sommet d’une montagne.
J’ai décidé d’y aller le plus léger possible. Je crois que j’ai battu un record, avec un sac de 12 kg seulement, eau et nourriture incluses. Je n’avais pas ma tente parce que je savais que je n’en n’aurai pas besoin. Je l’ai donc envoyée à Havelock, le prochain village que j’allais croiser à la fin du Richmond Ranges. Pour la bouffe, je me suis rabattue sur la marque Radix. J’avais prévu dix jours de nourriture, et inch’halla si je devais restée bloqué dans une hut ! Et puis... le jeûne, c’est bon pour la santé, non ?
J’avais également compté trois barres de céréales OSM par jour. Soit trente barres en tout. Une barre pèse 86 grammes, je portais donc deux kilos et demi de barres chocolatées hyper nutritives.
29.02.20 (J 57)
Mon réveil vibre à côté de mes oreilles à 6h tapante. J’ai la tête dans le cul et la gueule de bois parce que, hier soir, avec ma pote Laure, on s’est bituré la tronche. Je me dis que mon mal de crâne en vaut la peine. Je ne fais jamais la fête et puis, on s’est vraiment bien marré ensemble. C’était chouette !
Je fais du stop et un jeune couple de Canadiens m’emmène au point GPS que Maps Me m’indique. C’est le point que j’avais mis une semaine auparavant, lorsque j’étais arrivée à St-Arnaud. Je longe l’autoroute sur quelques kilomètres, avant d’emprunter un large chemin qui monte sec. Je me sens rapidement transportée loin de la civilisation et je me réjouis d’être coupée du reste du monde pendant une dizaine de jours. En cet instant, un sentiment grisant de liberté me traverse.
J’arrive à la Red Hills hut à 15h. Je décuve mon trop plein d’alcool en faisant une sieste d’enfer pendant quelques heures. Ce sont les bruits de voix qui me réveillent vers 18h. La hut commence à se remplir. Il y a plein de NOBO ! Je n’en avais jamais croisé autant d’un coup. Mais c’est bien, ça me rassure un peu de savoir qu’il y a de gens sur le parcours, sait-t-on jamais...
01.03.20 (J 58)
Je me lève à 8h et ne tarde pas à partir. Il fait beau et le terrain se déploie platement devant moi. Ensuite, ça monte, et ça descend, et ça remonte, et ça redescend, sur un petit chemin qui surplombe une jolie rivière. Du dénivelé, quoi ! Rien de plus normal en montagne. Je traverse ensuite de gros blocs de pierres qui me font office de chemin, sur 500 mètres environ. Je me dirige grâce aux piquets orange qui m’indiquent la direction à suivre et me débrouille plutôt bien.
Ensuite, ça se corse un peu. Il faut que je rejoigne une crête. Le chemin est merdique et mal dessiné. Forcément, je m’égare et me retrouve à devoir escalader comme une sauvage des blocs de pierres plus ou moins grands, qui tiennent plus ou moins en équilibre sur un sol caillouteux, et qui glissent sous le poids de mes efforts. À la bonne heure ! Mon genou. Je m’inquiète pour mon genou. Je mets toutes mes forces et toutes mes tripes pour monter cette foutue pente, mais beaucoup de mes peurs et doutes remontent. Et si mon genou lâche ? Et si je dois arrêter complètement le trail ? Et si je n’avais pas, comme une conne, arrêté de marcher pendant deux semaines entières à Christchurch ? Je pète les plombs dans ma tête, et touche le désespoir. Je me pose par terre, cache mon visage entre mes mains, et m’effondre sur place. Bordel de merde. J’ai encore mal. Que faire ? Marche arrière ? C’est hors de question. J’ai la rage d’avancer. Il n’est pas question que j’abandonne là. J’ai trop marché, trop avancé, j’en ai trop chié, pour me permettre de baisser les bras maintenant. Je me relève, essuie mes larmes, et fais ce que j’ai fait ces 57 derniers jours : marcher. Je mets toute ma hargne dans mes bras et je grimpe au sommet de cette foutue pente, bercée par de nombreux « nom de Dieu de bordel de merde je vais y arriver. Je vais y arriver. Je vais y arriver ! » Oui, je vais y arriver même si, là, en cet instant, je n’y crois plus vraiment.
J’arrive à la Porters Creek hut vers midi. Il y a deux autres NOBOS qui sont déjà-là. Je me rafraichis le visage, mange, m’étire et masse mon genou. Je prends quelques grandes inspirations et expirations et je continue ma marche.
J’arrive à la Hunters hut en fin d’après-midi et y rencontre Chloé et Lise. Je sympathise tout de suite avec cette dernière ; nous passons un bon moment à bavarder.
02.03.20 (J 59)
Je traîne au réveil et m’en vais vers 10h00. Je traverse un chemin en forêt qui requiert beaucoup de concentration et de levers de pieds digne de ce nom ! Le terrain est glissant et il faut que je m’agrippe à des branchages pour me tirer en haut de certains passages. Je crains toujours que mon genou se remette à faire mal, même si je sais qu’il ne sert à rien de trop y penser. Ça n’améliorera pas la situation. J’essaie de ne pas trop forcer dessus, et, pour aujourd’hui, m’octroie une demi-journée de repos. Je pense que c’est plus intelligent d’y aller en douceur, même si une partie de moi veut « speeder » et « taper dedans », comme je dis souvent.
La montée pour atteindre le sommet de la montagne que je pouvais observer depuis la Hunters hut, fût de type « costaud » ! En guise de récompense, j’avais non seulement un joli panorama mais aussi du réseau ! Il est très rare que j’aie du réseau lorsque je marche. C’est trop super de pouvoir m’informer de la météo et appeler les gens que j’aime entre deux étapes.
Je me tape ensuite une descente de la mort sur un petit chemin, suivi de deux kilomètres à jongler et sautiller sur des blocs de pierres. J’en ai marre, de la caillasse !
La Top Wairoa hut se présente à moi. Elle est orange, et brille comme un soleil au milieu de ce terrain désertique, perdu au milieu du bout du monde.
03.03.20 (J 60)
Je passe une longue journée à travers une forêt qui glisse et est plutôt casse gueule. Je me suis juste arrêtée pour manger à la Mid Wairoa hut à midi, puis j’ai tracé la route. Ce qui est génial, dans le Richmond Ranges, c’est que chaque trois ou quatre heures, il y a une hut dans laquelle je peux m’étirer et manger un repas chaud. Quel luxe !
Lorsque je pousse la porte de Tarn hut en fin de journée, je rencontre Sasha, une fille Russe que j’avais déjà croisé à quelques reprises ces derniers jours, mais avec qui je n’avais pas vraiment pris le temps de converser. Étirements et dodo.
04.03.20 (J 61)
Je me lève tôt et me mets en route après m’être correctement étirée. Les étirements, c’est la vie ! Encore plus lorsque je fais ce que je fais et avec avec un genou qui péclote. Le chemin n’est pas compliqué ce matin et j’ai, à nouveau, le privilège d’avoir du réseau à la Mt. Rintoul Hut. S’ensuit une belle montée dans de la caillasse glissante sur 500 mètres environ, avant d’atteindre ce que je pense être le col de Rintoul. Le temps n’est plus aussi ensoleillé qu’en bas. Je me trouve dans une brume épaisse, au travers de laquelle je ne vois pas grand-chose. Il pleuvine et commence à faire froid, malgré la chaleur que mon corps transpirant dégage. Je longe une crête, à plat, sur quelques mètres avant de descendre dans un éboulis. Je croise une femme qui doit avoir la 60aine et qui marche avec son petit fils. Le son de ma voix transperce le vent glacial, qui s’est maintenant levé « You are almost there! You’re awesome, keep going! » lui dis-je « Thank’s ! Be careful down there, it’s slippery... What a hike! It’s adventurous, I love it!”* Me répond-t-elle
*” C’est super, continue comme ça ! Tu y es presque ! » « Merci ! Sois prudente, là-en bas, ça glisse... Quel chemin ! C’est l’aventure, j’adore ! »
Cette femme m’a redonné du peps et de la motivation ! Je la quitte avec le sourire, malgré le froid et la caillasse qui glisse sous mes pieds. Le chemin descend ensuite sur une longue pente caillouteuse et là, mes genoux prennent un coup. Je commence à stresser parce qu’il est bientôt 16h30, que je ne sais pas vraiment où je suis, et parce que mon GPS bug. Je me demande où peut bien se trouver la prochaine hut. Je regarde autour de moi mais ne voit rien, à part ce chemin et une forêt qui semble être posée au fond de la petite vallée qui se situe sur ma droite. Mais le chemin, lui, n’y va pas, à droite. Je ne comprends donc pas dans quelle direction la hut peut bien être. Je prends une mini pause pour soulager mon corps sur mes bâtons, bois beaucoup d’eau, et mange une barre OSM. Je continue encore quelques minutes sur le chemin, mon esprit focalisé sur le « mais où le chemin continue-t-il ? », jusqu’à ce que je lève les yeux et tombe nez à nez avec ce dernier. Mais le chemin n’en est plus un. Il s’est transformé en une pente abrupte qui me fait perdre tout sourire. C’est de l’escalade. Sa mère ! « Putain de bordel de merde ! ». Et voilà, les joies de la montagne ! Quand tu crois être arrivé et bien non, t’es encore loin du compte. « Quand tu crois que y’en a plus, bah y’en a encore », comme ce que chantait, notre ami Stromae... Un jet d’adrénaline se met à parcourir mon sang déjà bouillant. Je me mets un coup de pied au cul, pour littéralement grimper ce truc pas possible. Que faire d’autre, de toute façon ? Ais-je d’autres choix ? Non, je n’ai pas le choix. Avancer, avancer, avancer et peut-être, un jour, arriver à Cape Reinga (vivante), si Dieu le veut...
Je tire, je pousse, j’escalade, je transpire à bloc malgré le froid qui transperce toutes mes couches de vêtements. En plus, je sens que je vais avoir mes règles. « Nom de Dieu ! »Je me fusille les genoux, pas seulement le gauche, mais le droit aussi, parce que je mets toute ma force et ma haine dans la flexion de ces derniers. J’ai l’impression que je mène une bataille, et qu’il m’est interdit de la perdre. La montée me paraît interminable, mais je parviens, quand même, à un moment donné, au bout de mes peines. Enfin... plus ou moins. Parce que qui dit « montée », dit « descente » bien évidemment ! En redescendant, je rigole jaune devant le terrain miné que je dois traverser. Il est fait de gros cailloux sur lesquels je dois sauter pour avancer. Il y a deux mois, ça m’amusait vraiment, de sauter d’un caillou à un autre. Là, ça me pète les couilles et me fusille les jambes.
Après avoir parcouru quelques centaines de mètres au travers de la roche, j’atteins l’entrée d’une forêt dans laquelle je descends sur 1km environ. Je soupir de soulagement, lorsqu’au bout de celle-ci, après cette énième interminable descente, j’aperçois la tant attendue Old Man Hut qui crache de la fumée par sa cheminée. Sasha est là ! Le feu qu’elle a fait a déjà réchauffé la pièce tandis que, dehors, la température doit tout juste frôler les 5°. Sasha est autant dépitée que moi par cette journée interminable. On discute, on rigole, on partage une tisane tout en évacuant nos émotions. On troc un sachet Radix contre du couscous et une soupe de petits pois, chose qui me met dans un état intense de joie. Je suis au paradis et ne pourrais être plus heureuse qu’en cet instant ! Mes papilles sont comblées de bonheur et demain sera un nouveau jour. La journée est derrière moi, je n’y pense déjà plus. Je m’étire longuement, me masse, et dors d’un sommeil de plomb. Oh et puis... j’ai mes règles !
05.03.20 (J 62)
Je pars plus tôt que Sasha ce matin. J’attaque « droit en haut ! » par une montée, pendant une demi-heure environ, avant de longer une crête. Le panorama que mon regard balaie est splendide. Il fait beau et agréablement chaud, malgré quelques rafales de vent. Aujourd’hui encore, j’ai du réseau par moments. J’en profite pour appeler papa et discuter un moment avec lui. Ça me fait un bien fou !
Je croise quelques SOBO qui me donnent le sourire et une bonne énergie. C’est quand même agréable, de discuter avec des gens, de temps en temps !
Sasha ne tarde pas à me rejoindre. On marche ensemble et on s’arrête de temps en temps pour prendre des photos. Elle est photographe de profession et se balade avec un super appareil dans le sac. On rigole bien, et le temps semble s’évaporer différemment, lorsque l’on parle avec quelqu’un.
À un moment donné, on a une vue imprenable sur l’océan ainsi que sur le bout de l’île du sud. Un regain d’énergie phénoménal me traverse le corps tout entier « Sasha, on voit presque le bout, bordel ! Littéralement ! T’imagines ? » Je suis prise par un sentiment d’accomplissement et de fierté en même temps. Je suis touchée d’être ici et j’en ai même les larmes aux yeux. Mais, en même temps, j’ai un pincement au cœur terrible, parce que ça signifie que je quitterai bientôt cette merveilleuse île.
On s’arrête à la prochaine hut pour manger et s’étirer. Le terrain n’a rien à voir avec celui d’hier. Même s’il y a encore pas mal de dénivelé, il est beaucoup plus agréable.
Sasha passe ensuite devant, elle veut avancer plus vite. On se sépare donc naturellement et mon petit doigt me dit qu’on ne se retrouvera pas dans la même hut, ce soir. À mon avis, soit elle ira à la suivante qui est située 1h30 plus loin, soit elle va bivouaquer. Et mon petit doigt avait raison ! Lorsque j’arrive à la Starveall hut, elle venait tout juste de repartir. Un Américain qui est là, me passe la note que Sasha a laissé pour moi. Elle m’a laissé ses coordonnées et à même dessiné des petits cœurs en fin de page. Merci !
L’Américain, lui, est juste en balade pour un jour ou deux. Depuis ici, il y a un chemin qui accède à la route principale, côté ouest, en deux heures à peine.
Je vais me décrasser rapidos dans la rivière et, lorsque je rentre à la hut, mon nouveau pote me tend une pomme. J’en reste bouche bée. « Mec, t’es sûr ? » Il m’aurait offert un diamant que je n’en aurais pas moins été ébahie. « Prends-là, elle est pour toi ! Moi je redescends en ville demain » « Merci, merci ! T’as refait ma vie ! »
Je garde précieusement mon cadeau pour demain. Ça faisait trois jours, que je rêvais de manger une pomme !
06.03.20 (J 63)
À 7h ce matin, je suis au taquet. Au taquet surtout pour tracer la route et pouvoir à nouveau savourer des aliments normaux et hyper caloriques !
Au taquet certes, mais la forêt dans laquelle je me bats pour avancer à 1.5km/h, elle, commence à me faire chier ! J’en ai marre des forêts encombrées, où il faut se la jouer à la Rambo pour esquiver des troncs d’arbres, et faire des pas de danses pour ne pas s’écorcher les jambes... Là, j’ai vraiment envie de terminer cette étape, de me poser dans un bar pour siroter un smoothie à la banane, de manger tout un tas de brownies au chocolat, et d’arriver au bout de cette île du sud.
En milieu de parcours, je me pose dans une hut qui est grande et moderne pour manger mon reste de purée de pommes de terre et remplir mon Kamel Bac d’eau. Je prends le soleil dehors, lorsque j’entends deux français parler entre eux. Ils viennent se poser un moment, on discute un peu. Kalima et Sylvain sont un jeune couple incroyable avec un projet de voyage extraordinaire. Je ne vous en dis pas plus ici, parce que vous trouverez leur site internet en cliquant ici, mais ils ont clairement refait ma journée !
Déjà, pouvoir parler en Français avec des personnes avec lesquelles je suis à 100% sur la même longueur d’onde me regorge d’énergie. Ils font partie de ces personnes qui me tirent vers le haut et me poussent en avant. Ensuite, leur projet m’inspire et l’énergie qu’ils dégagent me donne des ailes. Et pour finir, ils me partagent même un morceau de chocolat et une date. Je suis refaite ! Je les quitte avec un énorme sourire aux lèvres et le cœur plein de joie. Ils m’ont vraiment fait du bien. Merci, merci les amis !
Grâce à cette rencontre qui m’a revitalisée à bloc, j’avale les derniers km jusqu’à la dernière hut du parcours en 3h à peine. Lorsque j’y arrive, je suis accueillie par une jeune américaine qui, elle aussi, a une énergie incroyable. Je pousse la porte en trombe, excitée comme pas possible et « chaud patate », à continuer. Je suis toute rouge et dégouline de transpiration lorsque je lui demande si elle croit que je peux arriver à Pelorus Bridge -qui marque la fin de cette étape-, ce soir. Elle me sourit et me dit que si je veux marcher de nuit, alors oui. Mais sinon, c’est quand même encore 7h de marche depuis ici.
7h, ça fait un bout, quand même... Surtout qu’il est déjà 17h. Bon, je reste ici, alors. Je me rince le cul dans la rivière et passe la soirée à discuter et à rigoler avec ma camarade de hut.
07.03.20 (J 64)
Je suis prête et décolle à 6h. Ce matin, c’est la fin des haricots ; je n’ai plus rien à manger, mon portable est déchargé et ma Power Bank est morte, je suis dégueulasse, je pue, mes fringues sont toutes trouées, et ma dégaine s’apparente plus à celle d’une clocharde vagabonde plutôt qu’à celle d’une voyageuse qui marche. En plus, l’eau de la rivière que je prends pour la boire ce matin, tire sur le vert-jaune. Bon, je glisse une pastille chlorée dans mon Kamel Bac et me dit que ça devrait faire l’affaire.
J’avance pendant deux heures au travers d’une forêt, sur un chemin plat, dégagé, et agréablement bien entretenu, avant d’arriver sur une route gravillonnée que je longe sur plusieurs kilomètres. Durant ces derniers kils, j’ai un énorme sourire aux lèvres. Je me sens pousser des ailes et ai envie de hurler de bonheur !
Mon esprit est clair, limpide, affuté. Mes pensées sont sereines, elles s’écoulent lentement. Je me sens légère, libre et vivante comme jamais. Comme si je ressortais de 10 jours de purification et de purge. Comme si ma vie n’avait jamais été aussi comblée alignée qu’en cet instant.
Ensuite, mes pieds se posent sur le tarmac. J’avance encore pendant deux heures, avant de retrouver l’autoroute et les odeurs d’échappement ; signes de retour à la civilisation.
Moi et mon allure crasseuse ne tardons pas à pousser la porte du café de Pelorus Bridge dans lequel je compte bien me faire plaisir !
Dix minutes plus tard, cuillère, couteau, fourchette et paille en bouche (si, si, presque tout à la fois !) je m’observe en train de dévorer deux salades (une à base de pâtes et l’autre de courge), un smoothie à la fraise, un brownie au chocolat, deux pommes et un tchai latte ; le tout arrosé d’1 litre d’eau fraîche qui n’est ni jaune, ni verte, et qui à bon goût.
Ah le bonheur ! C’est ça, le bonheur ! Un estomac bien rempli, et plus de 1’200 km dans les pattes !
Je lève ensuite le pouce en bord de route pour rejoindre le village d’Havelock, où je vais passer le reste de la journée. Je prends le temps de me frotter sous la douche, de laver mes affaires, de manger, de récupérer ma toile de tente, d’écrire et de m’organiser pour le ferry que je prendrai dans quelques jours pour atteindre l’île du nord.
Du 08.03.20 au 11.03.20 (J65 à 68)
Le lendemain de mon arrivée à Havelock, je me suis levée tôt et ai marché jusqu’à Pelorus Bridge (le passage que j’avais fait en stop) ainsi que jusqu’au petit village côtier d’Anakiwa, sans mon sac à dos que j’avais laissé à l’hostel. Ah, quel bonheur de pouvoir marcher léger!
Ensuite, j’ai attaqué le Queen Charlotte Track (QCT), la toute dernière partie du TA sur l’île du sud. Le QCT est une randonnée passablement agréable et accessible au plus grand nombre. On y trouve même des hôtels, des bars et des restaurants en bord de route. Eh oui, car il y a même une route qui longe une bonne partie du chemin !
J’ai passé deux jours et demi à m’émerveiller devant des paysages plus magnifiques les uns que les autres.
Le terrain n’était pas complètement plat ; il y avait quand même pas mal de jolies collines à grimper, mais le chemin était, de manière générale, dégagé et bien entretenu. Une petite ballade bien propre de 70km !
L’avant dernier jour, j’étais sur le point de replier ma tente et de me mettre en route quand Chrissy, une Kiwi NOBO, m’a demandé si on pouvait marcher ensemble. Et c’est comme ça que nous avons commencé à marcher côte à côte. Chrissy, c’est une guerrière. Elle est grande, robuste et en impose. Elle a de l’énergie à revendre et a presque failli mourir dans les Richmond Ranges. Une vraie de vrai, quoi !
Notre motivation, ce jour-là, était d’atteindre le bar de Punga Cove afin de savourer une bonne bière. En arrivant au bar, surprise ! On croise une flopée de NOBO, tous de très bons amis de Chrissy, et on passe une soirée d’enfer à rigoler et à boire des bières.
On serait bien restées là pour planter la tente avec les copains, mais on avait réservé nos shuttles ainsi que le ferry pour le lendemain. On a dû donc bouger nos fesses et continuer d’avancer de nuit, chancelantes, à la lampe frontale et sous les étoiles, entre les vers luisants et les opossums. La lune était belle et se reflétait sur l’eau noire de la baie qui nous entourait.
Marcher bourrée, fut une expérience presque magique. On a mis de la musique et on a avalé quelques km durant encore deux heures. Et puis, on est tombée sur un lodge qui se trouvait à 4h de marche de Ship Cove, la destination finale de nos pas que nous allions rejoindre le lendemain matin. Chrissy a frappé à la porte et deux jeunes nous ont ouverts. Il était 23h, on était fatiguées, mais on avait un peu décuvé, grâce à notre balade tardive. Les gars nous ont gracieusement pointé du doigt un bout de pelouse, en contrebas, sur lequel on a pu planter nos tentes. Mais avant de monter notre campement, on a bu une dernière bière avec eux et c’était repartit pour un tour !
Le lendemain, on s’est mises en route à 6h tapante, un peu décalquées, mais heureuses. On a commencé la marche à la frontale, puis avons admiré un magnifique lever de soleil. On a avalé les derniers kilomètres, pris plaisir à savourer nos derniers pas et nous y voilà : la baie de Ship Cove était juste-là. Nos pieds ont foulé le sable fin et une fine pluie s’est mise à tomber. On s’est posées, on a mangé, et on a surtout savouré l’instant. Voilà, une île de faite !
J’étais émue, mais moins que lorsque je me trouvais au sommet du Richmond Range et que je pouvais admirer le bout de cette terre. J’étais heureuse d’avoir terminé cette étape. Et quelle étape ! Quelques 1’200km de traversés, d’accomplis, d’achevés. À moi l’île du nord ; ces longues heures de marche au bord des autoroutes, les trail angels et l’épique rivière de Whanganui que je descendrai en kayak...
Île du nord, j’arrive !
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